FICHE DE LECTURE Des signes avant-coureurs En compagnie des hommes, Véronique Tadjo
Publiée par Alain Chedeville
Publiée le
La ressource en bref
Niveaux : B1, B2, C1, C2
Des signes avant-coureurs
En compagnie des hommes, Véronique Tadjo, Éd. Don Quichotte, 2017
«On ne décime pas la forêt sans faire couler du sang. Les hommes d’aujourd’hui se croient tout permis. Ils se pensent les maîtres, les architectes de la nature. Ils s’estiment seuls habitants légitimes de la planète alors que des millions d’autres espèces la peuplent depuis des millénaires. Aveugles aux souffrances qu’ils infligent, ils sont muets devant leur propre indifférence. Impossible d’arrêter leur voracité. Ils dévorent encore davantage même quand ils ont déjà tout. Et, lorsqu’ils sont repus, ils se tournent vers d’autres envies: denrées, argent, pacotilles. Ils gaspillent. Entre eux, ils s’arrachent les ressources naturelles. Ils creusent dans le ventre de la terre. Ils plongent dans les océans. Ils iront jusqu’au bout ».
Voici ce que nous dit l’autrice ivoirienne Véronique Tadjo, à la page 22 de son roman polyphonique En compagnie des hommes, dont le sujet est l’épidémie d’Ébola qui ravagea entre 2013 et 2016 la Guinée, le Libéria et la Sierra Léone. Cinq ans plus tard, ce mots résonnent en écho devant la pandémie de COVID 19.
Dans ce livre, qui s’ouvre et se referme sur la voix du baobab, l’arbre à paroles, la romancière a choisi de nous faire entendre de multiples voix, qui vont de celle du chercheur congolais qui découvrit Ébola, en 1976, à celle du virus lui-même, en passant par les voix d’ un fossoyeur, d’une infirmière, d’un malade, d’un médecin… Elles nous parlent aussi bien du courage et du dévouement du personnel soignant que de l’égoïsme des pays du nord, de l’horreur que de l’héroïsme.
La première de ces voix est peut-être la plus déchirante, celle d’un père qui chasse sa fille de chez lui afin qu’elle ait la vie sauve.
Le baobab prend ensuite la parole. Le baobab, «arbre premier, arbre éternel, arbre symbole. Ma cime touche le ciel et offre une ombre rafraîchissante au monde. Je cherche la lumière douce, porteuse de vie. Afin qu’elle éclaire l’humanité, illumine la pénombre et apaise l’angoisse»
Le baobab est d’ailleurs le premier à exprimer l’idée qui circule d’un bout à l’autre d’En compagnie des hommes : Il nous faut changer impérativement le politiques qui nous gouvernent depuis trop de temps sans tenir compte de l’écologie, dont le seul but est l’enrichissement immoral d’une petite élite et qui mène la planète à sa perte.
Le virus lui-même et la chauve-souris font entendre leur voix. Ils refusent d’être tenus pour responsables du drame, dont les causes sont à rechercher dans la mainmise des hommes sur la nature.
L’épidémie ayant été enrayée, nous entendons finalement la v oix de l’arbre à paroles :
« Aux confins du pays, la vie a repris également. Dans mon village, les hommes ont retrouvé leur place à l’ombre de mon feuillage. Sous mon regard protecteur, ils se reposent sur des nattes colorées. Auparavant, ils avaient partagé un repas préparé en commun. Plongeant les mains dans de grands plats, ils ont savouré des boulettes de riz et quelques morceaux de viande.
Les enfants accrochés à leurs mères tètent le sein. Les cabris s’approchent pour observer la scène du retour à la normale. Je tends l’oreille aux paroles des villageois. Une vieille femme se lève. Ses tresses sont d’un gris très doux et tombent sur ses épaules. De l’inquiétude se lit dans ses yeux, mais un sourire se dessine néanmoins sur son visage. Elle s’adresse à ses compagnons : la paix est avec nous, mais restons prudents. Nous sommes morts plusieurs fois, il nous faut respecter la vie.
La tendresse, soudain, m’envahit. Je reconnais les survivants, je pleure avec eux les morts.
À la tombée du jour sortent les musiciens. Les poètes commencent à psalmodier les hauts faits des héros de la lutte. »
Un roman très beau, très lucide dont le style limpide rappelle celui des fables et que l’on peut mettre en mains de nos apprenants dès le niveau B1.