FICHE DE LECTURE Les Orages, Sylvain Prudhomme
Publiée par Alain Chedeville
Publiée le
La ressource en bref
Niveaux : B2, C1, C2
FICHE DE LECTURE
Les Orages, Sylvain Prudhomme, Gallimard, Paris, 2021
“La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs”, affirmait Descartes.
Marcel Proust, de son côté, écrivait : “En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage d’un écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans le livre il n’eût peut-être pas vu en soi-même.”
Ces conversations, ces découvertes, cette magie, ces voyages vers d’autres cultures, d’autres époques, d’autres êtres humains, tout simplement, sont, à mon avis, essentiels aussi bien aux enseignants qu’aux apprenants d’une langue étrangère.
De notre côté, celui des enseignants, j’ai la conviction que nous ne devons pas nous cantonner aux auteurs étudiés pendant nos études, et, encore moins, nous limiter au seul pays de France.
Nous savons, bien entendu, que le français est parlé sur les cinq continents, un argument que nous déployons pour attirer des élèves. Or, le français est aussi écrit dans le monde entier, et, selon moi, très souvent, la langue des écrivains hors de France a plus de sève, est plus innovante que celle des auteurs de l’Hexagone. Pour preuve, les romans de l’Haïtien Lyonel Trouillot et ceux du Congolais Alain Mabanckou.
Pour nos apprenants, il s’agira là d’une autre manière d’abattre les murs de la salle de classe pour y faire entre une langue monde multiple et vivante.
Trêve de présentations, et passons donc à notre première fiche de lecture !
L’ouvrage choisi, Les orages de Sylvain Prudhomme, prix Femina 2019 pour Par les routes, est composé de courts récits qui mettent en scène des personnages au moment précis où ils affrontent ces moments charnière, ces orages, face auxquels les a placés leur existence. Les protagonistes de ces « orages » n’ont rien d’exceptionnel. Ce sont ces gens que l’on croise dans la rue sans jamais faire trop attention à eux. Ce qui est exceptionnel, pour eux, c’est le moment qu’ils sont en train de vivre.
Dans un style délicat, sobre et néanmoins lumineux, Sylvain Prudhomme nous présente ces moments de bascule :
« J’ai pensé que c’était d’avoir presque perdu son enfant. D’avoir tenu ce gamin de cinq mois dans ses bras et senti que la mort allait le lui arracher, d’avoir un instant cru basculer de l’autre côté, de n’avoir eu d’autre choix, un moment, que d’en accepter l’insupportable idée.
Lui dit que ce n’est rien de tout cela. Que simplement, pour la première fois, de se retrouver là, forcé pendant quinze jours de dormir sur cet étroit lit d’hôpital, à un mètre de son enfant entre la vie et la mort, il eut du temps.
Il eut du calme. Il n’eut rien d’autre à faire qu’être là, près de son fils. Il se sentit uni comme jamais à la femme qui partageait sa vie. Il dit que pour la première fois depuis longtemps il eut le sentiment d’être utile. D’être fort.
D’agir comme il fallait. De se trouver au bon endroit, ce sont ses propres mots. Au bon endroit comme jamais jusqu’alors. »
Dans Le taille-haie, un vieil qui commence à perdre la mémoire, dans son désir d’agir comme si de rien n’était, il s’obstine à vouloir tailler une haie :
« Il a regardé le vieil homme saisir l’appareil vrombissant, le brandir devant lui allumé déjà. Il a vu son visage changer, prendre un air perdu, étonné soudain de découvrir le taille-haie si lourd, si pareil à une bestiole féroce, méchante, avec ses crachats de fumée, son ventre rouge vif, son réservoir luisant d’essence, sa lame longue comme celle d’un sabre, dentelée de chaque côté comme le nez d’un poisson-scie.
Il a essayé de négocier par-dessus le vacarme du moteur, espéré que le vieil homme se ravise.
Grand-Père allez je commence et tu prendras le relais. »
Dans La baignoire, une femme réfléchit aux deux heures qui lui restent avant un départ. Vers qui ? Vers quoi ? Nous ne le saurons pas.
« Elle incline la tête en arrière, pose la nuque sur le rebord de la baignoire, reste longtemps immobile, à regarder les spots du plafond allumés malgré le grand jour, les rayons de soleil qui entrent par la fenêtre.
Elle pense aux deux heures qui lui restent avant de s’en retourner vers la gare. Elle pense à chaque minute, chaque seconde de ces deux heures qui lui appartiennent et qui d’un coup lui semblent vastes, inattendues, rares. »
Les orages se succèdent mais ne se ressemblent pas. Awa, une jeune Sénégalaise doit laisser de côté ses rêves d’avenir pour aider son petit frère mourant ; un homme referme pour toujours la porte de l’appartement où s’est déroulé une grande partie de sa vie ; un écrivain amateur, surnommé Balzac, a ses habitudes dans un café de banlieue, le Paradis …
Sylvain Prudhomme nous décrit avec une grande simplicité, une grande luminosité, ces moments charnière des nos vies de gens simples et parfois lumineux.
Je recommande Les orages de Sylvain Prudhomme à tou·te·s les collègues. Je considère aussi que l’on peut le mettre entre les mains de nos élèves qui commencent un niveau B2.