Fiche de lecture - Littérature haïtienne, le petit dernier
Publiée par Alain Chedeville
Publiée le
La ressource en bref
Niveaux : B2, C1, C2
Littérature haïtienne, le petit dernier
Néhémy Pierre-Dahomey, Combats, Le seuil, 2021
En règles générales, on ne connaît d’Haïti que son côté le plus sombre, misère, dictature, tremblement de terre, choléra…
Or, et bien que tout ceci soit malheureusement vrai, la première république indépendante d’Amérique latine présente une autre particularité, il s’agit possiblement du pays qui compte le plus de romanciers et de poètes par nombre d’habitants.-
De Jacques Roumain, Marie Vieux-Chauvet et Jacques-Stephen Alexis à René Depestre, Davertige et Frankétienne, sans oublier les plus contemporains Yanick Lahens, Dany Laferrière, Lyonel Trouillot, Emmelie Prophète, James Noël, et j’en oublie beaucoup, ces auteurs et autrices, certains en exil et d’autres résidant dans leur île, ont, chacun à sa manière, tenté de nous expliquer Haïti.
Leur langue, comme celle de presque tous les écrivains et écrivaines des Caraïbes, est singulière, parfumée de créole et du rythme qu’apportèrent les esclaves de leur Afrique natale.
Il s’agit, d’autre part, d’une littérature en français, certes, bien que plus proche du réalisme magique d’un Alejo Carpentier et d’un García Marquez que des plumes de l’Hexagone.
Et voici que paraît Combats, deuxième roman du jeune romancier Néhémy Pierre-Dahomey, né en 1986, et résidant actuellement en France.
Pierre-Dahomey est un conteur de ceux que décrit si bien Patrick Chamoiseau dans son dernier ouvrage La nuit, le conteur, le panier…, un conteur qui subjugue aussi bien ses lecteurs que ces « reines chanterelles », qu’il décrit dans Combats, subjuguaient leurs auditeurs.
L’histoire se déroule dans une contrée isolée, Boën, en 1842, 38 ans après la proclamation de l’indépendance. La jeune république s’est vue imposer une indemnité par la France de Charles X, pour compenser les pertes en terres et en esclaves des colons français qui avaient dû fuir l’île en 1804. Cette dette mène le gouvernement haïtien a taxer ses citoyens et à les obliger à réaliser des corvées. La région de Boën réussit à se maintenir en dehors de ces obligations.
Rappelons que cette dette ne fut soldée que cent ans plus tard, après la deuxième Guerre mondiale. Rappelons aussi que la France a toujours refusé de reconnaître l’injustice de cette dette, et donc de la rendre à la république d’Haïti. Le président François Hollande, en visite dans l’île, a même eu l’audace d’affirmer que la France n’avait qu’une dette morale envers les haïtiens.–
Deux personnages, hautement symboliques, s’affrontent, d’autre part, dès le début du roman. D’un côté, Ludovic Possible, mulâtre au teint clair, propriétaire terrien, revenu sur ses terres et qui désire finir sa vie en philanthrope. De l’autre, Balthazar Possible, son demi-frère a la peau sombre, ce qui le place du côté des défavorisés.
Pour faire face à dette, le gouvernement de Port-au-Prince va augmenter les taxes et imposer la corvée. Pour y arriver, il organise un recensement avec l’aide de l’armée.
« Dans un tel contexte, Balthazar garde ses bonnes habitudes. Il avait jadis créé une petite taxe irrégulière et souterraine, dénommée ironiquement la “part du soldat”, qu’il distribue encore aux militaires de la Croix-des-Bouquets, arrosant le commandant Éric Saurel lui-même pour que la contrée soit exempte du moindre recensement, invisible aux perceptions d’impôts et aux rafles pour la corvée. »
Un frère à la peau claire opposé à un frère à la peau sombre, dans une république fondée par d’anciiens esclaves ?
« L'histoire de la république d'Haïti est marquée par un fort antagonisme entre ceux que l'on appelle les « mulâtres », assimilés aux anciens libres de couleur, et les « noirs », perçus comme les descendants des anciens esclaves », nous explique Dominique Rogers. (1)
Or, ce roman qui met en lumière ces origines profondes du drame haïtien n’a rien, heureusement, d’un roman à thèse. Il s’agit plutôt d’un roman d’aventures aux multiples rebondissements et au rythme cinématographique.
Parmi les multiples personnages hauts en couleurs du roman, il y en a un qui se détache singulièrement, Aïda, la fille cachée de Ludovic Possible. L’enfant mutique des premières pages devient, à la mort de sa mère Gracilia France Placide, dont elle reprendra le commerce itinérant de tabac, une conteuse qui ensorcèle ses auditeurs, une « reine chanterelle ». La jeune fille va, dès lors, parcourir, avec son âne Satan et ses trois chiens, les routes et les chemins de la contrée, colportant son tabac et ses contes.
Ceci jusqu’au jour où Balthazar Possible décide que les contes sont subversifs et fait emprisonner Aida avec son mentor, le conteur Dorélien, dans la maison de son enfance. Je ne dévoilerai pas, bien entendu, l’issu de cette aventure !
Si Néhémy Pierre-Dahomey puise son inspiration dans la grande histoire, ce qu’il dépeint ce sont les destins des petites gens secoués par cette histoire, un tableau éloigné de tout manichéisme, de tout jugement de valeur. Ajoutons à cela un sens de l’humour, une ironie qui ajoutent un brin de légèreté à un sujet douloureux.
Néhémy Pierre-Dahomey, tout comme Aïda, est un conteur, un descendant de ces griots qui arrivèrent un jour aux plages d’Ayiti, enchaînés comme esclaves, et racontèrent à leurs compagnons les histoires du passé, pour ne pas les oublier et pour éclairer le présent.
À lire à partir d’un niveau B2.
Je recommande aussi à tous les collègue de se plonger dans la littérature haïtienne, dont j’ai cité des auteurs au début de cette chronique. Il s’agit d’une littérature dont l’on ne sort pas indemne, et franchement, si l’on sort indemne d’un livre, c’est qu’il ne vaut pas grand-chose !
(1)Dominique Rogers, De l'origine du préjugé de couleur en Haïti. In: Outre-mers, tome 90, n°340-341, 2e semestre 2003
Commentaires liés à cette ressource
Ikbal El Amnouchi • 1013j
Merci beaucoup pour cet article très intéressant. Je suis en train de faire des recherches sur l'oeuvre d'"Hadriana dans tous mes rêves" de René Depestre dans le cadre de mon mémoire (Master de reche...
Voir plus
Alain Chedeville • 1013j
Bonjour Ikbel. Voici les liens de deux de mes articles sur mes différents blogs et puis des pdf qui pourraient vous être utiles https://lachansondelacigale.wordpress.com/2015/08/10/rene-depestre-le-po...
Voir plus
Ikbal El Amnouchi • 1010j
Merci infiniment monsieur Alain. C'est très gentil de votre part. Bien à vous collègue. Ikbel
Ikbal El Amnouchi • 1010j
Je viens de lire les articles . Très intéressants. Tous mes respects et merci encore.