L'émancipation intellectuelle
Publiée par Jorge Gerardo Morales Ayuso
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La ressource en bref
Niveau : B2
INTRODUCTION
L'ouvrage présente une revue du concept d'émancipation de J. Rancière à travers
d'émancipation intellectuelle, ce qui suppose à son tour d'aborder les concepts de
égalité d’intelligence et de dissidence.
L’objectif principal est d’explorer quelles conceptions de
émancipation et égalité, le philosophe français construit sa proposition philosophique afin de
réfléchir sur les bénéfices existentiels de la méthode ainsi que les apports au domaine
pédagogique.
Rancière a étudié la philosophie à l'École Normale Supérieure de Paris avec le philosophe
Marxiste-structuraliste, Louis Althusser. En 1969, il rejoint la Faculté de Philosophie
du Centre Universitaire Expérimental de Vincennes nouvellement créé, devenu le
Université Paris VIII, en 1971. Il y restera jusqu'à sa retraite de professeur
émérite en 2000. Il a également été professeur de philosophie à l'Université européenne
École supérieure de Saas-Fee, Suisse.
La recherche intellectuelle de J. Rancière débute avec ses recherches sur la
horizon ouvrier, on peut citer de cette époque La Nuit des prolétaires (2013) ou le
Le philosophe et ses pauvres (2007). Il est bien connu dans le monde académique que le philosophe
Le Français était un disciple de Louis Althusser, qui soutenait que la théorie marxiste était
deviendra une arme révolutionnaire aidant à libérer les classes opprimées. Non
Cependant, après les événements de Mai 68, Rancière est déçue et perd
espoirs, c'est pourquoi il est obligé de repenser sa propre pensée et de prendre
distance des idées de son professeur. Après ce désaccord, il concentra toute son énergie
énergies pour créer son propre projet de recherche, basé sur l'égalité
des intelligences comme axe catalyseur de toute transformation politique et esthétique. Années
Plus tard, sa réflexion s'est concentrée sur le lien entre esthétique et politique dans des œuvres telles que la
distribution du Sensible (2009) L'inconfort de l'esthétique (2011), Esthétique et politique (2000),
Inconfort en esthétique (2004) ou Le spectateur émancipé (2010), entre autres.
Selon J. Rancière (2010), le concept d'émancipation inspiré avant tout par Les textes du jeune Marx – et les plus populaires parmi les théories critiques – visaient à concentrer toutes les énergies militantes sur la récupération de l’unité d’une société fracturée.
Par le capital, c'est-à-dire en luttant pour se réapproprier un bien perdu et se libérer du
richesse aliénée : « L’émancipation ne pouvait donc apparaître que sous la forme
réappropriation globale d’un bien perdu par la communauté » (p. 46). Ainsi, pour atteindre le
Pour la libération, il faudrait éloigner les ouvriers de leur fausse conscience, c'est-à-dire de la
ignorance de leur propre identité, puisqu'ils ne sont pas conscients de leur statut de classe
en raison de leur manque d’accès au monde de la connaissance. De cette façon, la fausse hypothèse
la conscience parie sur le fait de souligner l'opposition entre la réalité et l'apparence, révélant
manières dont opère la politique de domination. Cependant, à partir de la thèse de
Rancière (2010), cette manière de présenter et d’appréhender l’émancipation est conçue à partir de
l'inégalité, c'est-à-dire qu'il existe des différences hiérarchiques entre ceux qui ont le privilège
du savoir et ceux qui ne le savent pas. De même, il soutient que cette façon de concevoir le
L'émancipation reporte indéfiniment la promesse d'émancipation parce qu'elle est considérée comme un
objectif à atteindre. Ainsi, Rancière (2010) renverse ces idées et affirme que
L'émancipation est un point de départ par l'égalité des intelligences et non un
état à atteindre dans un futur historique. Avec cette hypothèse en tête, dans cet article
Nous avons l’intention de réfléchir de quelle manière ces concepts – émancipation et égalité des droits
intelligences - peuvent contribuer à la création d'une pédagogie de la dissidence.
Le présent travail naît donc de ces questions : Comment Rancière conçoit-il la
émancipation? Comment l’égalité des intelligences affecte-t-elle l’émancipation ?
intellectuel et dissident ? Quelles implications découlent du fait de supposer l’égalité comme méthode
et pas comme projet ?
Cet article est organisé en trois parties, dans la première une revue est réalisée en
autour de la conception de l'émancipation à partir de la proposition de Rancière, dans le deuxième
aborde l’émancipation intellectuelle et l’égalité des intelligences. Dans le troisième,
Nous explorons le concept de dissidence. Enfin, nous essayons de répondre à ce qui pourrait être
les défis ou les obstacles qui se posent pour mener à bien la pratique de la méthode de l’égalité.
Une lecture de l'émancipation de J. Rancière
L'émancipation est l'un des concepts cruciaux de la pensée politique et philosophique du
J. Rancière (2010) et peut être abordé en tenant compte de son sens fondamental, qui,
il s’agit selon notre auteur de « sortir d’un état de minorité » (p. 46). A cette fin, le
Le philosophe propose d'élucider quelle était la condition minoritaire à laquelle le
« militants de l’émancipation sociale » et cela nous renvoie donc au « tissu harmonieux de
la communauté » : « Cet état de minorité dont les militants de l’émancipation sociale
ont voulu partir est, dans son principe, le même que ce « tissu harmonieux de la communauté »
(Rancière, 2010, p.44). Ainsi, la perspective renouvelée de Rancière (2010) dessine les
éléments policiers de ladite communauté, et remonte à Platon, pour soutenir que :
La communauté harmonieusement tissée qui fait l'objet de ces nostalgies est
celui dans lequel chacun est à sa place, dans sa classe, occupé dans la fonction qu'il
correspond et doté du matériel sensible et intellectuel qui lui convient
lieu et à cette fonction : la communauté platonicienne (p. 44).
Avec ce qui précède, il apparaît clairement que pour Rancière – contrairement aux post-marxistes – il n'aspire pas à l'émergence de cette collectivité perdue, car dans le substrat même de
Sa configuration est une répartition hiérarchique et inégale. Cela implique entre
autre chose, son désaccord avec l'idée d'espaces préétablis par rapport à
fonctions exécutées, c'est-à-dire à toutes ces machines conçues a priori pour que le
Les « artisans », les « ouvriers », les « prolétaires » passent leur vie à accomplir la tâche qu'ils
voie de destin qu'ils devaient occuper. Pour cela, Rancière (2010) souligne : « la communauté est
celui dans lequel chacun est à sa place, dans sa classe, occupé dans la fonction qu'il
correspond et équipé du matériel sensible et intellectuel adapté à ce site et
cette fonction » (p. 46). A partir de là, on peut remarquer que cette commodité n'est pas
harmonieuse, mais elle contient un piège d'avance, puisque ces tâches,
la connaissance et les affections font partie d'une mission fixée par la divinité conformément
au genre d'âme incarnée dans le corps. « La Divinité leur a donné une âme de fer – la
un équipement sensible et intellectuel - qui les adapte et les fixe dans ce métier. (Rancière,
2010, p. 46). Face à cela, notre auteur remettra en question cette répartition « harmonique », c'est-à-dire
la coïncidence entre les capacités cognitives et les expériences affectives qui en découlent
mission qui sera par la suite appelée ordre de police. Dans le cadre de ce schéma, le
L'auteur remarquera qu'il existe une division de police du sensible, c'est-à-dire la caution imposée
entre une occupation et un faire, entre l’acte d’être soumis à une temporalité « aliénée »
et un espace défini qui marque les manières de vivre ou non des expériences sensorielles,
puisque ces règles existentielles et de travail fixent les lignes directrices de la pensée et
sensibilité.
Il est donc d’une immense pertinence de comprendre que pour notre auteur, pour émanciper
consiste à : « provoquer la rupture d’une adaptation entre un certain type d’occupation et un certain
type d’équipement intellectuel et sensoriel. (Rancière, 2007, p.35). Compte tenu de cela, il n'y a pas
Il ne fait aucun doute que vivre cette libération implique de se perdre des corvées, c'est-à-dire de
actions menées au quotidien dans le domaine de l'ordre policier, afin de vivre un placement
différents afin de générer des idées et des expériences sensorielles différentes.
Or, pour que l’émancipation soit un événement, il faut que :
"L'attribution antérieure des lieux, des fonctions et des corps est rompue." (Rancière, 2007,
p.46). Cela suggère qu'il faut passer à un autre espace, soit en abandonnant le
localité assignée, ou simplement, en déplaçant le sens des limites imposées par
Temps « policier ». A partir de là, les limites corporelles sont transcendées et une autre
corps possible, où ils ne sont plus adaptés ni soumis à aucune occupation particulière,
et à la place, un nouveau corps émerge pour expérimenter la vie d'une autre manière, c'est-à-dire sans
aucune classification restrictive n’est impliquée. Par ailleurs, l’émancipation trace également un
affirmation, puisqu’elle donne lieu à : « la capacité de chacun à prendre soin de soi est affirmée ».
(penser, parler) sur des sujets qui, par nature ou consensus, ne leur correspondraient pas.
(Rancière, 2007, p.46).
Jusqu’à présent, nous avons tenté de tracer une esquisse minimale de l’hypothèse rancerienne.
sur l'émancipation. Plus précisément, son désaccord avec la tradition platonicienne selon laquelle,
Voix de l'éducation Volume5 Numéro 9
ISSN 2448-6248 (électronique) ISSN 1665-1596 (imprimé) 161.
Elle suppose en effet une hiérarchie intellectuelle et une répartition du sensible. arrivé à ça
Il est d’une immense pertinence d’essayer d’explorer comment l’émancipation s’entremêle
intellectuel à travers l’égalité des intelligences, et comment le concept de dissidence pourrait
contribuer à une déconnexion du soi-disant ordre policier.
Jorge Gerardo Morales Ayuso
Mexique
Formateur(rice) de formateurs, Conseiller(ère) pédagogique, Enseignant(e)
- Linguistique & littérature—
- Français professionnel