Apprendre et enseigner avec un support audiovisuel
Publiée par Ines LOPEZ
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Enseigner/apprendre le français avec un support audiovisuel est un défi de l’approche moderne et active de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.
L’évolution des courants méthodologiques a ancré les images et les sons dans « un mode communication commun, une langue intuitivement utilisée dès le plus jeune âge depuis que les outils de captation des images et des sons sont dans toutes poches ». (Boudier, Bron, Laborde) La presse, la radio, la télévision, les chansons, les Smartphones ont tous des composantes qui permettent d’entendre et qui permettent de voir des informations, des images, du son ouverts sur le monde.
Si, « Apprendre une langue étrangère, c’est s’ouvrir sur le monde, c’est découvrir de nouvelles possibilités d’expression, d’action, d’interaction, et que c’est aussi faire la fête et découvrir le plaisir d’apprendre » (Simona Bostina-Bratu)
Si apprendre une langue, c’est envisager de voir le monde différemment, si c’est découvrir un autre univers de mots que le sien, si c’est aller à la rencontre d’une autre culture que la sienne, alors les supports audiovisuels se proposent d’être un outil au service de ces découvertes.
La question qui se pose est de savoir comment faire entrer ces supports dans la classe, de savoir comment en avoir une exploitation pédagogique qui répond à des objectifs linguistiques, communicatifs, pragmatiques, socioculturels, ou autre ?
Relever ce défi de faire entrer ces documents dans les classes, c’est réussir à faire évoluer les pratiques d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, c’est donner l’envie d’enseigner et d’apprendre une langue étrangère autrement, c’est envisager que tous les acteurs de la classe prennent plaisir dans leurs tâches respectives.
La présente communication cherchera dans un premier temps à montrer les apports de l’audiovisuel dans les pratiques pédagogiques de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.
Dans un deuxième temps et afin d’être le plus objectif possible sur l’exploitation des supports audiovisuels en classe de langue, il faudra faire le relevé des difficultés qu’il est possible de rencontrer.
Enfin, tout en prenant en considération le postulat de Francis Yaiche qui dit qu’ « apprendre c’est changer » (1996) et en considérant que l’exploitation des supports audiovisuels en classe de langue permettent d’enseigner et d’apprendre autrement, alors il semble important de reconsidérer les postures des enseignants et des apprenants de l’approche moderne et active, de voir comment chacun agit, interagit dans une classe qui elle aussi est nouvellement définie.
Que peut-on attendre de l’exploitation d’un document audiovisuel ?
De manière générale, il est possible de voir les supports audiovisuels comme un facteur d’amélioration de l’apprentissage puisque ils élargissent les possibilités d’accès à l’information et qu’ils tissent des liens vers la multiplicité des sens ou des intelligences. (Talavan, 2013)
Tout d’abord, un des facteurs d’amélioration de l’apprentissage d’une langue étrangère est sans doute le caractère innovant des documents audiovisuels en classe de langue. L’évolution des courants méthodologiques fait entrer dans la classe d’autres outils que le manuel scolaire et les supports audiovisuels participent de la diversification des outils de l’enseignant et de l’apprenant. L’idée n’est pas de remplacer le livre du maître, le livre de l’élève mais d’apprendre à sortir de ce livre pour apprendre et enseigner autrement.
Par ailleurs, développer une pratique d’enseignement et d’apprentissage d’une langue étrangère avec un support audiovisuel c’est se connecter avec la réalité du monde, c’est contextualiser l’apprentissage hors la classe, c’est ancrer l’apprentissage dans la réalité de la société des apprenants. (Talavan, 2003)
Le facteur réaliste de l’apprentissage joue un rôle dans l’amélioration de l’apprentissage car il permet de rencontrer la langue telle qu’elle est parlée par des locuteurs natifs. La langue n’est plus falsifiée, simulée, tronquée, les apprenants sont plongés dans un bain sonore et visuel authentique.
Quelles occasions d’écouter, de rencontrer des locuteurs natifs les apprenants d’une langue étrangère ont-ils vraiment ?
« Pour apprendre une langue, il faut multiplier les rencontres de la langue cible actuelle, non transformée, il faut fréquenter la langue » (Boiron) Cette citation permet d’élargir la fréquentation de la langue à la fréquentation des locuteurs de cette langue, locuteurs porteurs d’une autre culture. Fréquenter la langue devient dès lors un moyen d’aller à la rencontre d’une autre culture, d’une autre façon de voir le monde, d’une autre façon de se voir dans le monde aux côtés de ses interlocuteurs.
De plus, au-delà des compétences linguistiques, l’approche interculturelle ne doit pas être négligée. Ces supports ancrés dans la réalité linguistique, culturelle d’une réalité de personnes à un moment donné sont une raison de faire émerger une réflexion interculturelle chez les apprenants.
Catroux en 2006 considérait l’apprentissage « comme une pratique socioculturelle qui se déroule dans divers contexte. » Ces mots expriment bien qu’il est important d’envisager l’apprentissage d’une langue étrangère dans une pratique sociale du locuteur. C’est dans ce sens que la mise en place d’un Cadre Européen Commun de Référence pour les langues de 2001 a fait évoluer les représentations de l’enseignement, de l’apprentissage, de l’évaluation dans une perspective actionnelle. Les principes d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère définis par le CECRL sont orientés vers une construction collective du sens, c’est à dire que c’est d’ans l’action, et plus précisément dans l’interaction en collectivité que la communication prend son effet et son sens. Quand il apprend au travers d’un support audiovisuel, l’apprenant devient actif de son apprentissage
Rueda (1998), quant à lui, s’inspire de la théorie socioculturelle pour dire que « le langage est un outil qui permet une interaction avec le monde. » Cette citation crée des liens entre le langage, les interactions et la capacité à résoudre un problème, considérée aujourd’hui comme la compétence primordiale dans la recherche de la pensée abstraite et de la créativité.
Enfin, avoir une pratique pédagogique qui utilise un support audiovisuel permet d’agrandir le champ des possibilités pour atteindre des objectifs d’apprentissage. L’exploitation pédagogique d’un support audiovisuel dans l’enseignement/ apprentissage des langues ne se réduit pas au perfectionnement de la compréhension orale seule mais rend possible un travail sur les quatre domaines de compétences. Michel Boiron en fait une règle d’or, « il ne faut pas limiter la compréhension des documents audiovisuels à une compréhension linguistique. » Mais il faut en avoir un usage pour mettre en place une réflexion sur ce que véhiculent les médias et sur ce que peuvent être les rôles de l’image et de la vidéo. C’est dans cette visée que les documents audiovisuels peuvent être utilisés avec pour objectif aussi de faire de l’éducation aux médias. Nul doute que « les médias organisent la pensée et proposent à l’usager un monde compréhensible ».
L’éducation aux médias se veut une approche qui questionne les images, la vidéo, leurs rôles, leur fonctionnement. En effet, l’exploitation des supports audiovisuels sert aussi à faire l’identification de ce qui constitue un document audiovisuel, à apprendre être attentif à ce que l’on entend, voit, à conscientiser la manière de transmettre un message. On ne peut nier que les images sont des facilitateurs d’accès au sens par exemple.
Questionner la langue, l’image, le son, la vidéo, les médias, le monde favorise sans doute la naissance et le développement d’un esprit critique chez l’apprenant.
Ces quelques aspects non exhaustifs relatifs à apprendre et enseigner avec un support audiovisuels sont autant de source de motivation, d’envie, de plaisir pour apprendre et enseigner. Néanmoins, est-ce simple d’enseigner une langue avec un support audiovisuel ? N’y a-t-il pas quelques contraintes que peuvent rencontrer les enseignants ?
Quelles difficultés à exploiter un support audiovisuel en classe de langue ?
En premier lieu, introduire du son, de l’image, un ordinateur, une télé n’est pas nouveau dans les pratiques pédagogiques des enseignants. Freinet faisait entrer un ordinateur dans ses classes il y a plus de 40 ans. Ces pratiques nouvelles, actives à l’époque n’ont pourtant pas évolué au point de systématiser l’utilisation de supports différents dans l’enseignement/ apprentissage d’une langue étrangère. Les idées défendues par ce pédagogue et d’autres mettaient l’apprenant au centre de son apprentissage. Est-ce que le manque de formation des enseignants à ces pratiques innovantes n’est pas un frein à une généralisation de l’enseignement/apprentissage avec un support audiovisuel ? Combien d’enseignants savent manipuler tout le matériel nécessaire à ce type de pratique pédagogique ? Est-ce que tous les enseignants sont en mesure de didactiser un support audiovisuel pour faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère ? Si on ne veut plus d’utilisation passive d’un support audiovisuel, si on ne le voit pas comme un simple visionnage accompagné de quelques questions de compréhension ou d’analyse, si on cherche une exploitation pédagogique des supports audiovisuels, ne faut-il pas former les enseignants à ces pratiques différentes de l’enseignement d’une langue étrangère ?
En deuxième lieu, est-ce que tous les supports audiovisuels sont didactisables à des fins pédagogiques d’enseignement/ apprentissage d’une langue étrangère ? Il parait opportun de penser que le choix d’un document audiovisuel ne se fait pas au hasard et qu’il doit respecter un certain nombre de facteurs comme : l’intérêt pour les apprenants, la durée (six minutes maximum), les objectifs d’apprentissage, la capacité de l’extrait audiovisuel à faire sens, le lien entre le support audiovisuel et le programme, le niveau de langue peut aussi entrer en considération même si ce n’est pas nécessairement le niveau de langue que document qui détermine le niveau d’apprentissage, mais que c’est plutôt la nature des activités proposées dans l’exploitation pédagogique qui vont fixer le niveau de langue et les objectifs à atteindre.
Troisièmement, sortir du manuel scolaire n’est pas chose facile quand il a longtemps le seul outil de l’enseignant et de l’apprenant. Le manuel scolaire est un repère, un guide, un outil d’évaluation de la progression, un objet qui rassure. Le laisser de côté, c’est prendre le risque de perdre tout ce qu’il représente pour les différents acteurs de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère. Les méthodes actives, modernes font le choix d’un enseignement/ apprentissage plus diversifié dans ses approches pédagogiques mais ces techniques font parfois peur, elles déstabilisent enseignants et apprenants confortés dans des pratiques plus traditionnelles et pour qui sortir de la zone de confort est un défi risqué, effrayant parce que souvent considéré comme une entrave au programme institutionnel. Sortir du manuel est sans doute considéré comme sortir du programme académique. Les programmes scolaires sont souvent chargés, les enseignants ont-ils le temps de faire autre chose que ce qui est au programme ?
Le défi de l’enseignant qui utilisent les supports audiovisuels dans une classe de langue c’est de trouver et didactiser des documents qui répondent aux objectifs du programme national. M. Boiron en est persuadé, « l’offre médiatique est immense, inépuisable et touche tous les sujets, tous les domaines d’activité et de nombreux genre de l’actualité à la fiction » En s’impliquant à relever ce défi, l’enseignant se dotera d’un support différent, diversifié, actuel, pour enseigner une langue étrangère.
Le manque de temps est aussi une crainte des enseignants à utiliser les supports audiovisuels en classe de langue. On ne peut nier que de choisir un document audiovisuel, le didactiser, concevoir les activités qui vont permettre la réalisation des objectifs définis prend du temps au début. Plus l’enseignant aura une pratique régulière de ce support d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, plus il développera des automatismes de didactisation, de mise en place d’activités car didactiser un support audiovisuel répond à une démarche précise, à un scénario pédagogique bien construit. Ne peut-on pas penser que plus un enseignant passera de temps à concevoir ses propres supports d’enseignement, plus il prendra plaisir à enseigner, et que plus il aura en vie de mettre en place des activités qui donnent aux apprenants envie d’apprendre ?
Ces craintes souvent ressenties par les enseignants expliquent dans une certaine mesure l’absence des supports audiovisuels dans les classes de langue et le changement de supports pédagogiques implique d’adopter une nouvelle posture d’enseignant.
De nouvelles postures à adopter pour les enseignants et les apprenants
Enseigner avec un support audiovisuel réclame un changement de posture de la part de l’enseignant et de l’apprenant. Peut-être que le véritable enjeu réside dans ce changement ? Si « Apprendre c’est changer » Yaiche (1996), enseigner c’est aussi accepter de changer pour motiver les apprenants, les rendre actifs de leur apprentissage, leur donner envie d’apprendre, prendre du plaisir en classe avec des outils actuels qui leur ouvrent les portent sur un monde réel, différent du leur.
Le tableau comparatif ci-dessous résume les principaux changements que l’enseignant doit opérer pour être en accord avec les pratiques pédagogiques actives, modernes nouvelles. Ce changement de posture n’est pas sans conséquence sur le rôle nouveau de l’apprenant et sur la représentation de ce qu’est une classe.
Méthodes traditionnelles
Méthodes nouvelles
Démarche de classe normée
Démarche de classe ouverte sur le monde authentique
Situation d’enseignement
Situation d’apprentissage
Fixe des objectifs
Réponds à un besoin
Enseignant au centre de la classe
Apprenant au centre de la classe
Dispenseur du savoir
Médiateur du savoir
Enseignement avec livre, manuel scolaire
Enseignement avec les technologies
Dans une démarche traditionnelle de l’enseignement/apprentissage des langues, la norme fait foi. La langue enseignée est celle qui répond à des normes, à des règles, au caractère plutôt normatif de l’écrit contraignant dans sa structure linguistique, syntaxique, grammatical, lexical. Ce n’est pas l’enseignement d’une langue ouverte sur le monde, au plus proche de la réalité des locuteurs natifs, ce n’est pas un bain linguistique authentique, actuel, réel que proposent les méthodes nouvelles.
Avec les méthodes traditionnelles, c’est l’enseignant qui enseigne, c’est lui qui est au centre de sa classe. Ne l’imagine-t-on pas communément debout, près de son tableau, devant les élèves assis deux par deux à des tables placées les unes derrières les autres ? Ces représentations participent d’un enseignement traditionnel qui ne met pas l’apprenant en situation d’apprentissage où les activités mises en place sont centrées sur l’apprenant, où l’enseignant n’est qu’un guide, un animateur.
Favoriser des activités qui mettent l’enseignant en retrait dans sa classe n’est pas une démarche simple pour un enseignant habitué à diriger sa classe, habitué à dispenser le savoir. Cela demande un travail de préparation important avant d’entrer en classe pour que les apprenants se retrouvent au centre de leur apprentissage. Avec les méthodes nouvelles, l’apprenant peut négocier le savoir, peut construire le savoir avec l’enseignant et l’ensemble de ses camarades.
En effet, si les activités répondent plus à un besoin d’apprentissage qu’à un besoin d’enseignement, elles doivent prendre en considération l’intérêt des apprenants et le mettre au centre de son apprentissage. Répondre aux besoins des apprenants, à leurs intérêts est sans doute facilité par l’usage des supports audiovisuels en classe de langue qui sont plus modernes, qui permettent de diversifier les supports de classe, qui ouvrent l’apprentissage de la langue sur un contexte réel, authentique.
Enseigner/ apprendre en utilisant des supports actuels est le défi des méthodes modernes et actives qui demande du temps, de l’implication personnelle mais qui motive les apprenants. Il me semble que l’on peut prendre beaucoup de plaisir à enseigner avec un support audiovisuel, qu’on peut donner envie d’apprendre, qu’on peut dynamiser une classe en apportant quelque chose de différent du manuel scolaire. Les enseignants doivent apprendre à changer leur posture en classes, leurs pratiques pédagogiques pour relever ce défi.
BIBLIOGRAPHIE
Boiron, M. (1997). Apprendre et enseigner avec TV5. Le Français dans Le Monde, 290
Catroux, M. (2006). Perspective co-actionnelle et TICE : quelles convergences pour l’enseignement de la langue de spécialité ? Journée d’étude de l’EA 2025. IUT Bordeaux 1 : Université de Bordeaux.
En ligne :http :www.langues-vivantes.u-bordeaux2.fr/frsa/pdf/CATROUX.pdf
Rueda, R.(1998). Standards for Professionnal Developpement : A Sociological Perspective. University of California: CREDE (Center for Research on Education, Diversity and Excellence)
Talavan Zanón, N. (2013). La subtitulación en el aprendizaje de lenguas extranjeras. Barcelona : Octaedro
Yaiche, F. (1996) Les simulations globales, mode d’emploi. Hachette Livre FLE
SITOGRAPHIE
Philippe Bourdier, Jean-Albert Bron, Barbara Laborde. « Introduction- Les enjeux des études cinématographiques : théories, méthode, idéologies, finalités », Mise Au Point (en ligne), 7| mis en ligne le 25 mai 2015
https://map.revues.org/1886
Boiron, M. Le rôle des médias dans le renouvellement de la pédagogie de l’enseignement des langues.
Docplayer.fr/2335902-Le-role-des-medias-dans-le-renouvellement-de-l-enseignement-des-langues.html
Mediero Duran, E. Les matériels audiovisuels dans l’apprentissage d’une langue étrangère et leur rôle prépondérant des étudiants et des professeurs.
www.aref2013.univ.molp2.fr/cod6/?q=content/148---les-materiels-audiovisuels-dans-lapprentissage-dune-langue-étrangère-et-le-rôle-prépon
Simona Boştinã-Bratu. L’audiovisuel comme support pédagogique.
www.armyacademy.ro/bibiloteca/anuare/2003/ AUDIOVISUEL.pdf
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Driss Louiz • 2538j
c'est très intéressant, je le recommande, merci Inès pour le partage
Tidiane Ferdinand KEITA • 2511j
Merci Inès pour cet article. Toutefois, je suis d'avis qu'enseigner et apprendre avec l'audiovisuel ne peut se faire qu'avec un projet pédagogique. Ce projet prend en compte les besoins des apprenants...
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Ines LOPEZ • 2485j
Bonjour. Si je consens que le facteur motivation ne vient pas du support en soi, quo que parfois le simple fait de changer de supports puisse favoriser la motivation des apprenants. Casser la routine ...
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Lkholti Rachid • 2257j
Bonjour,prmiérement je remercie Inès pour son article très intéressant .A mon avis l'intégration de l'audiovisuel constitue un facteur de motivation pour nos élèves et un support facilitant la mémoris...
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