Aller au contenu
Logo Institut FrançaisIFprofs
Retour

Croire au merveilleux

Publiée par Franck COLOTTE

Publiée le

1 J'aime

CROIRE AU MERVEILLEUX

 

Né en janvier 1975 au Havre, Christophe Ono-dit-Biot, agrégé de lettres modernes, est tombé très tôt dans le monde balbutiant d’Internet dans la mesure où il publie, dès 1995, son journal intime en ligne, Le Journal de l’énervé. Cette expérience inédite à l’époque en France lui vaut à vingt ans sa première célébrité. Ce journaliste et écrivain publie Croire au merveilleux, son sixième roman. Quatre ans après la parution de Plonger (2013), récompensé par le grand prix de l’Académie française, Christophe Ono-dit-Biot renoue avec le héros de son livre précédent, César. Il signe avec Croire au merveilleux l’histoire d’un deuil, de ses difficultés à surmonter la perte et l’abandon, malgré la vie qui fait pousser des ailes dans le dos. Et si les blessures pouvaient se refermer grâce aux mythes grecs ? Et si la clé venait de l’enfance ?

 

FRANCK COLOTTE

 

Christophe ONO-DIT-BIOT

Croire au merveilleux

Éditeur : Gallimard

Collection : Blanche

ISBN-13 : 978-2070118328

20 euros ; 240 pages

 

La citation de Paul Veyne, mise en exergue par l’auteur, donne le ton du roman : « Seule l’Antiquité païenne éveillait mon désir, parce que c’était le monde d’avant, parce que c’était un monde aboli ». Le credo de cet historien spécialiste de la Rome antique place le sixième livre d’Ono-dit-Biot sous l’égide de l’Antiquité et de la puissance de ses mythes, qui irriguent l’ensemble du texte, qui sont un plongeon vers les racines du monde et celles  de l’être. De plus, l’invitation au voyage - en l’occurrence en France, en Italie, en passant par l’Espagne, la Grèce ou encore le Japon – est une thématique récurrente de l’œuvre d’Ono-dit-Biot : l’intrigue d’Interdit à toute femme et à toute femelle se déroule en Grèce sur le Mont Athos avec son monastère autorisé uniquement aux êtres de sexe masculin, d’où le titre abrupt. Birmane propose une escapade dans le sud-est asiatique, au cœur du pays dirigé par une junte militaire intraitable. Enfin, Plonger, son œuvre précédente, met en scène César et Paz qui fréquentent les profonds abysses méditerranéens. Les protagonistes sont engagés dans une quête de sens dans un monde devenu insensé. Journaliste dans un grand organe de presse parisien, le héros-narrateur (César) fait la connaissance d’une jeune photographe espagnole (Paz), exceptionnellement douée. La rencontre se passe plutôt mal, car au lieu de remercier le journaliste qui vient d’écrire un papier très élogieux de son travail, l’artiste lui reproche au contraire d’avoir mal interprété son œuvre. Un amour passion, qui détruit à petit feu, un amour à mort va naître entre les deux protagonistes. C’est en effet une tragédie qui s’abat sur les épaules de César, ce presque quadragénaire bien installé au cœur du pouvoir médiatique, dans un monde chaotique dont l’Europe serait l’antichambre. Son grand amour, Paz, cette fille des Asturies « vibrante, tempétueuse, aquatique » a été retrouvée morte sur une plage d’Arabie. Cette femme, aux « yeux comme des billes de charbon qui prennent feu, un feu noir, comme sa chevelure », laisse orphelin leur fils Hector. Pour son fils, à qui il doit la vérité sur sa mère, César remonte le fil de leur amour - leur rencontre, les débuts puis l’ascension de Paz dans le monde de l’art, la naissance de l’enfant - et essaie d’élucider les raisons qui ont précipité sa fin.

De structure tripartite (La mort – Le ressuscité – L’invité), Croire au merveilleux constitue la suite de Plonger. Le dernier roman de Christophe Ono-dit-Biot pose une  question fondamentale : comment continuer à croire aux réenchantements perpétuels des sens et de l’existence quand on a perdu la femme de sa vie ? D’une fiction à l’autre, les personnages restent les mêmes, mais chaque opus est indépendant. Incontestablement, l’auteur a une forte propension pour la Méditerranée et les valeurs antiques. Il est un fervent défenseur de l’enseignement du latin et du grec, comme en témoignent les références à l’Antiquité, qui sont légion : Ulysse, Socrate, l’ataraxie, la Théogonie d’Hésiode, le symbolon, Orphée et Eurydice, Poséidon, La guerre du Péloponnèse de Thucydide, Sisyphe, Achille, Héraclès, etc. peuplent le récit, égrènent la trame narrative, comme un vaste cortège de fantômes mythologiques atemporels et structurants. Par ailleurs, César, jeune père d’un adorable garçonnet, Hector, est veuf, il ne se console pas de la disparition de Paz. Au point de vouloir en finir avec l’existence. Plusieurs pages décrivent son passage à l’acte. Cet homme déchiré est prêt à se suicider. L’incipit, à l’instar de tout le premier chapitre, est étouffant, dramatique, angoissant : « Aujourd’hui je vais mourir. Je ne suis pas malade. Je ne suis pas ruiné. Je n’arrive pas à vivre, c’est tout. Amputé à ce point, est-ce qu’on peut même employer le mot : vivre ? » (p. 15). Tout semble dit.

César ne va pas très bien, comme le monde qui l’entoure : il ne parvient pas à rendre Hector heureux, à être un père pour lui. Il capitule, décidé à en finir. Or, étrangement, au moment même où il vacille, après avoir pris quelques médicaments savamment dosés, quelqu’un frappe à la porte. C’est une jeune femme, sa nouvelle voisine, qu’il n’avait jamais vue. Il s’agit de Nana (p. 29), une jeune femme avec un accent grec, « au regard vert pâle » et « au visage ovale » (p. 88) que sa bibliothèque remplie d’auteurs issus de la littérature grecque classique semble beaucoup intéresser. Elle est beaucoup plus jeune que lui, elle termine un master d’architecture à Paris-Belleville (p. 97), un Paris qui reflète le chaos du monde, un Paris meurtri, comme César, qu’elle va peu à peu tirer de sa tristesse par sa conversation, par son écoute, attentive et prévenante. Et César va progressivement découvrir au sujet de cette voisine - à laquelle il s’attache, et de son frère, une certaine étrangeté, un mystère qui se fait jour et dont les dimensions se révèlent au fur et à mesure des étapes du voyage - à la fois géographique et intérieur - du narrateur. Croire au merveilleux est l’histoire d’un homme sauvé doublement par l’enfance : son enfance à lui, et celle de son fils.

Ce livre est une sorte de conte moderne, branché sur notre monde chaotique. Un conte où il est question, comme dans le livre précèdent, de la transmission de la culture que les générations antérieures nous ont léguée, et qu’on essaie de donner à celles et ceux qui nous succéderont. Sous-tendue par une plume remarquable de légèreté et de précision, la beauté est omniprésente, la poésie des mots donnant un relief majestueux à cette œuvre. Sur fond d’analepses touchantes, c’est l’amour perdu et passionnel de César envers Paz qui constitue la force du texte ; c’est aussi le témoignage d’un père à un fils, qui est l’une des plus belles oraisons funèbres jamais écrites. Néanmoins, loin d’être une plongée abyssale dans une nostalgie dépressive ou la mise en scène d’une catabase irrémédiable, le roman de Christophe Ono-dit-Biot est un récit anabatique fascinant, qui passe de la mort à une exhortation essentielle : vivre et croire au merveilleux, c’est-à-dire sculpter sa capacité à s’étonner, commencement de la sagesse.

 

Article paru dans le n° 1172 (1-15 mai 2017) de La Nouvelle Quinzaine littéraire.

 

 

 

 

Franck COLOTTE

Luxembourg

Enseignant(e)

Discipline :
  • Linguistique & littérature

Commentaires liés à cette ressource

Logo de la République FrançaiseVisiter le site de l’Institut françaisLogo de l’Institut français

Institut français, tous droits réservés 2025

Visiter la page Facebook de l’Institut françaisPage facebook de l'institut françaisVisiter la page Youtube de l’Institut françaisPage Youtube de l’Institut françaisVisiter la page LinkedIn de l’Institut françaisPage LinkedIn de l’Institut français
Nous contacter
Retour en haut de pageRetour en haut de page