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La médiation comme support pour des stratégies professorales

Publiée par Abdessamad TBIB

Publiée le

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La médiation comme support pour des stratégies professorales

 

Introduction

L’auto-confrontation et le questionnaire comme modalités méthodologiques nous permettront d’étudier le rôle de la médiation dans la conception professionnelle des enseignants de français. La première modalité amènera les enseignants à commenter des moments significatifs, car c’est en faisant le détour d’une description fine de l’action que l’on va apprendre des choses sur elle et pouvoir être plus pertinent dans son analyse. Nous avons remis en main la grille d’analyse d’une séance observée avant l’auto-confrontation. Les enseignantes ont connaissance de quelques remarques que nous avons relevées lors de nos observations en classes. La seconde modalité méthodologique analysera les différents types de médiation et dégagera les rôles que peuvent jouer cette médiation dans le travail didactique de l’enseignant. Nous postulons l’hypothèse que ces verbalisations déclarées des enseignants révèlent souvent des conceptions généreuses qui peuvent pourtant faire obstacle au développement des apprenants : l’enseignant ne perçoit que les lacunes des élèves.  

Les occasions de réflexion en situation d’auto-confrontation ou en situation de questionnement permettront aux enseignants d’abord, d’entrer dans une démarche d’explicitation de leur pensée dans l’action ; ensuite, de se laisser surprendre par leur propre action et de l’analyser en vue de réguler leurs actions futures. Ces deux hypothèses impliquent d’accompagner les enseignantes observées.  Ainsi, l’observable mis à disposition des professeures servira à alimenter une réflexion partagée (entre les enseignants et nous-mêmes) visant premièrement le travail de médiation des professeurs et deuxièmement, les outils médiateurs mis à la disposition des apprenants.

Si ces deux hypothèses sont confirmées, d’abord, la méthodologie d’auto-confrontation permettra aux enseignantes de mettre à jour des préoccupations qu’elles éprouvent dans l’action et pendant son analyse ; ensuite, notre réflexion partagée avec les enseignantes en situations d’auto-confrontation contribuera au développement de concepts pragmatiques intégrés par celles-ci.

 

 

 

 

 

  1. La médiation en classe de langue

            Nous avons vu dans la première partie que la médiation est assurée par l’enseignant, l’apprenant et les outils médiateurs. Nous avons vu notamment dans la seconde partie que les pratiques des enseignantes observées s’appuient sur ces trois médiations. Les enseignants changent-ils de conception après les auto-confrontations ou garderont-ils le même discours ? Comment donc les enseignants conçoivent la médiation à travers le questionnaire ?

  1. Analyse des grilles d’observation

            La grille d’analyse d’une séance est présentée aux enseignantes afin d’émettre quelques remarques sur le déroulement de leurs activités. Les grilles sont dûment remplies, nous les mettons successivement pour une meilleure mise en page. Le tableau 22 nous permet de conclure que l’enseignante « Amal » insiste sur le domaine « atmosphère » et elle met en évidence la structuration du discours du domaine « élaboration ». Or, elle néglige quasiment tous les autres domaines observés. Elle réalise onze points sur quarante-deux points de l’ensemble des sous-catégories esquissées dans la grille. Cependant, elle insiste plus ou moins sur les catégories « conduite », « soutien » et « outils médiateurs ». La grille d’analyse de « Chaymae », voire tableau 23, présente une performance de vingt-deux points sur quarante-deux points. L’enseignante s’appuie plus ou moins sur le tableau noir, les textes des apprenants et sur les fiches-outils pour médiatiser les interactions verbales en classe. Les sous-catégories du domaine « soutien » sont prises en bonne considération par l’enseignante alors que le domaine « atmosphère » est divisé en deux parties : les sous-catégories « posture, mise au travail et attitude » sont plus visés dans les pratiques des enseignantes ; or, les sous-catégories « présence et conditions » sont plus ou moins prises en considération par « Chaymae ».

            Dans le tableau 24,  « Jamila » obtient un score de dix-huit sur quarante-deux points. Elle utilise le tableau noir, les fiches-outils et les textes comme outils de médiation. Elle donne beaucoup d’importance aux domaines de l’ « atmosphère » et de la « conduite » alors ceux du « soutien » et de l’ « élaboration » sont plus ou moins pris en considération. Le tableau 25 dévoile un certain équilibre sur l’ensemble des sous-catégories des différents domaines de la grille chez « Soumaya ». L’enseignante insiste sur les domaines de l’ « atmosphère », de la « conduite » et du « soutien », elle réalise une performance de vingt-deux points sur quarante-deux. Toutefois, les sous catégories « présences » et «conditions » du domaine « atmosphère » sont plus ou moins prises en considération par l’enseignante. Elle insiste plus ou moins sur le « tableau noir » et  les « fiches-outils » comme  outils médiateurs.

 

Tableau 22 : grille d’analyse des interactions verbales en classe de langue chez « Amal »

 

 

Domaine à observer

catégories

Sous-catégories

+

+ ou -

-

 

Atmosphère

Posture

  1. Rapport à soi

*

 

 

 

  1. Rapport à l’élève

*

 

 

 

  1. Rapport à la tâche

 

*

 

 

Mise au travail

  1. Accueillant

*

 

 

 

  1. Accroche

 

*

 

 

Attitude

  1. Mise en situation

*

 

 

 

  1. Écoute

*

 

 

 

  1. Reformulation

 

*

 

 

  1. Bienveillance

*

 

 

 

  1. Empathie

*

 

 

 

Présence

  1. Encouragement

 

*

 

 

  1. Discipline

 

*

 

 

  1. Gestion conflits

 

 

*

 

Conditions

  1. Imprévus

 

*

 

 

  1. Stimulation

 

*

 

 

  1. Valorisation

*

 

 

 

  1. Sécurisation

 

*

 

 

Conduite

Gestion

  1. Contraintes espace

 

*

 

 

  1. Contraintes temps

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Soutien

Faire comprendre

  1. Expliquer

 

*

 

 

  1. Faire comprendre

 

*

 

 

Faire réfléchir

  1. Faire comparer

 

*

 

 

  1. Appliquer

*

 

 

 

Faire dire

  1. Verbaliser

 

*

 

 

  1. Verbaliser ses actions

 

*

 

 

Faire faire

  1. Faire corriger

 

*

 

 

  1. Démontrer la tâche

 

*

 

 

  1. Guider

 

*

 

 

  1. Soutenir

*

 

 

 

  1. Autonomiser

 

*

 

 

  1. Explorer

 

*

 

 

Réguler

  1. Ajuster ses stratégies

 

*

 

 

Élaboration

Articuler

  1. Prévoir une situation problème

 

 

*

 

  1. Cadrer la séance

 

 

 

 

  1. La structurer

*

 

 

 

 

  1. Respecter cette structuration

*

 

 

 

 

  1. Synthétiser

 

*

 

Outils médiateurs

  1. Textes

 

*

 

 

  1. Fiches-outils

 

*

 

 

  1. Tableau noir

 

*

 

 

  1. TBI

 

 

*

 

  1. Documents numérisés

 

 

*

 

Total

 

11

27

4

 












 

 

 

 

Tableau 23 : grille d’analyse des interactions verbales en classe de langue

Domaine à observer

catégories

Sous-catégories

+

+ ou -

-

Atmosphère

Posture

  1. Rapport à soi

*

 

 

  1. Rapport à l’élève

*

 

 

  1. Rapport à la tâche

*

 

 

Mise au travail

  1. Accueillant

*

 

 

  1. Accroche

*

 

 

Attitude

  1. Mise en situation

*

 

 

  1. Ecoute

*

 

 

  1. Reformulation

*

 

 

  1. Bienveillance

*

 

 

  1. Empathie

*

 

 

Présence

  1. Encouragement

 

*

 

  1. Discipline

 

*

 

  1. Gestion conflits

 

*

 

Conditions

  1. Imprévus

 

*

 

  1. Stimulation

 

*

 

  1. Valorisation

 

*

 

  1. Sécurisation

 

*

 

Conduite

Gestion

  1. Contraintes espace

 

*

 

  1. Contraintes temps

 

*

 

Soutien

Faire comprendre

  1. Expliquer

 

*

 

  1. Faire comprendre

*

 

 

Faire réfléchir

  1. Faire comparer

*

 

 

  1. Appliquer

*

 

 

Faire dire

  1. Verbaliser

*

 

 

  1. Verbaliser ses actions

*

 

 

Faire faire

  1. Faire corriger

*

 

 

  1. Démontrer la tâche

*

 

 

  1. Guider

*

 

 

  1. Soutenir

*

 

 

  1. Autonomiser

 

*

 

  1. Explorer

 

 

 

Réguler

  1. Ajuster ses stratégies

 

 

*

Élaboration

Articuler

  1. Prévoir une situation problème

 

 

*

  1. Cadrer la séance

*

 

 

  1. La structurer

 

 

 

  1. Respecter cette structuration

 

*

 

  1. Synthétiser

 

*

 

Outils médiateurs

  1. Textes

 

*

 

  1. Fiches-outils

 

*

 

  1. Tableau noir

 

*

 

  1. TBI

 

 

*

  1. Documents numérisés

 

 

*

Total

 

22

16

4

 

 

Tableau 24 : grille d’analyse des interactions verbales en classe de langue « Jamila »

 

Domaine à observer

catégories

Sous-catégories

+

+ ou -

-

Atmosphère

Posture

  1. Rapport à soi

*

 

 

  1. Rapport à l’élève

*

 

 

  1. Rapport à la tâche

*

 

 

Mise au travail

  1. accueillant

*

 

 

  1. Accroche

 

*

 

Attitude

  1. Mise en situation

 

*

 

  1. Ecoute

*

 

 

  1. Reformulation

*

 

 

  1. Bienveillance

*

 

 

  1. Empathie

 

*

 

Présence

  1. Encouragement

*

 

 

  1. Discipline

*

 

 

  1. Gestion conflits

*

 

 

Conditions

  1. Imprévus

*

 

 

  1. Stimulation

*

 

 

  1. Valorisation

*

 

 

  1. Sécurisation

*

 

 

Conduite

Gestion

  1. Contraintes espace

*

 

 

  1. Contraintes temps

*

 

 

Soutien

Faire comprendre

  1. Expliquer

*

 

 

  1. Faire comprendre

*

 

 

Faire réfléchir

  1. Faire comparer

 

*

 

  1. Appliqur

 

*

 

Faire dire

  1. Verbaliser

 

*

 

  1. Verbaliser ses actions

 

*

 

Faire faire

  1. Faire corriger

 

*

 

  1. Démontrer la tâche

 

*

 

  1. Guider

 

*

 

  1. Soutenir

 

*

 

  1. Autonomiser

 

*

 

  1. Explorer

 

*

 

Réguler

  1. Ajuster ses stratégies

 

*

 

Elaboration

Articuler

  1. Prévoir une situation problème

 

*

 

  1. Cadrer la séance

 

*

 

  1. La structurer

 

*

 

  1. Respecter cette structuration

 

*

 

  1. Synthétiser

 

*

 

 

Outils médiateurs

  1. Textes

 

*

 

  1. Fiches-outils

 

*

 

  1. Tableau noir

 

*

 

  1. TBI

 

 

*

  1. Documents numérisés

 

 

*

Total

 

18

22

2

 

 

 

 

 

 

Tableau 25 : grille d’analyse des interactions verbales en classe de langue « Soumaya »

 

Domaine à observer

catégories

Sous-catégories

+

+ ou -

-

Atmosphère

Posture

  1. Rapport à soi

 

*

 

  1. Rapport à l’élève

 

*

 

  1. Rapport à la tâche

 

*

 

Mise au travail

  1. Accueillant

*

 

 

  1. Accroche

 

*

 

Attitude

  1. Mise en situation

 

*

 

  1. Écoute

 

*

 

  1. Reformulation

 

*

 

  1. Bienveillance

 

*

 

  1. Empathie

 

*

 

Présence

  1. Encouragement

 

*

 

  1. Discipline

 

*

 

  1. Gestion conflits

 

*

 

Conditions

  1. Imprévus

*

*

 

  1. Stimulation

*

 

 

  1. Valorisation

*

 

 

  1. Sécurisation

*

 

 

Conduite

Gestion

  1. Contraintes espace

*

 

 

  1. Contraintes temps

*

 

 

Soutien

Faire comprendre

  1. Expliquer

*

 

 

  1. Faire comprendre

*

 

 

Faire réfléchir

  1. Faire comparer

 

*

 

  1. Appliquer

 

*

 

Faire dire

  1. Verbaliser

 

*

 

  1. Verbaliser ses actions

 

 

*

Faire faire

  1. Faire corriger

 

*

 

  1. Démontrer la tâche

 

*

 

  1. Guider

 

*

 

  1. Soutenir

 

*

 

  1. Autonomiser

 

*

 

  1. Explorer

 

*

 

Réguler

  1. Ajuster ses stratégies

 

*

 

Elaboration

Articuler

  1. Prévoir une situation problème

 

 

*

  1. Cadrer la séance

 

*

 

  1. La structurer

 

 

*

  1. Respecter cette structuration

 

 

*

  1. Synthétiser

 

 

 

 

*

 

Outils médiateurs

  1. Textes

 

 

*

  1. Fiches-outils

 

*

 

  1. Tableau noir

 

*

 

  1. TBI

 

 

*

  1. Documents numérisés

 

 

*

 

Total

 

9

25

8

 

 

  1. Les ressources professionnelles des enseignants

Le choix du matériel utilisé pour travailler les objets d’enseignement informe sur le rapport que les enseignants entretiennent avec les différents moyens disponibles voire notamment les objectifs du programme. C’est pourquoi la question 9[1] demande aux enseignants d’ordonner des ressources professionnelles. La palette des moyens d’enseignement à choisir comprend les ressources publiées sur Internet, les programmes de l’enseignement, les manuels scolaires, les documents d’accompagnement des évaluations, les documents produits et proposés par les collègues de l’établissement d’exercice, les revues spécialisées, et les outils diffusés dans le cadre de la formation des enseignants. Le choix des uns ou des autres moyens d’enseignement cités ci-dessus établit l’ordonnancement suivant :

Rang 1 : les programmes scolaires

Rang 2 : les manuels scolaires

Rang 3 : les ressources sitographiques

Rang 4 : les revues spécialisées

Rang 5 : les documents produits par les collègues de l’établissement

Rang 6 : les outils diffusés dans le cadre de la formation des enseignants

La plupart des professeurs de français utilisent plusieurs types de moyens d’enseignement, citant le seul titre de manuel scolaire[2] et quelques ressources numériques. Le site du Ministère de l’Éducation Nationale marocain est le plus cité (55/232), WEBLETTRES (15/232). D’autres sites sont indiqués une ou deux fois dans le corpus : TARBAWIYATE (2/232), la Bourse aux séquences (1/232). Quant aux revues disciplinaires, ce sont des publications professionnelles livrant des plans et des descriptifs de séquences ou de projets pédagogiques : l’École des Lettres (45/232). Les revues spécialisées de la discipline semblent peu lues ou peu connues des enseignants, que ce soit la revue Pratiques (citée une fois) soit la revue le Français dans le monde (citée une fois). Ces résultats rejoignent les constats de BARRERE pour qui « les enseignants devenus pédagogues n’en sont pas pour autant favorables à l’acquisition d’une culture pédagogique livresque dans la mesure où à l’exception d’une infime minorité d’enseignants, la pédagogie ne se lit pas »[3].

En ce qui concerne les textes institutionnels, les programmes scolaires arrivent en tête du classement, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils représentent une référence incontournable de la culture professionnelle des fonctionnaires de l’Éducation Nationale. Mais nous ne pouvons pas dire que ce sont les seules ressources évoquées par les nombreux répondants en matière d’enseignement de l’écriture.

Les documents provenant d’échanges entre pairs (collectifs de travail internes aux établissements scolaires ou collectifs construits en formation) arrivent aux derniers rangs : il faut préciser que seulement quatre professeurs ont déclaré construire des ressources en collaboration avec leurs collègues. La production collective d’outils et l’échange de supports et d’activités ne semblent pas faire partie des habitudes de ce panel, à l’exception de deux enseignants qui travaillent régulièrement en équipe et ont d’ailleurs renseigné ensemble leurs questionnaires.

Les données construites ne permettent pas de déterminer les causes de ce mode individuel de travail, fréquemment décelable dans les discours des professeurs. D’ailleurs, dans l’ensemble des questionnaires, la notion de travail en équipe pédagogique n’apparaît jamais dans les réponses aux questions ouvertes[4]. Il est probable que cette habitude d’organisation individualisée du travail de l’enseignant  soit d’une tradition disciplinaire ou soit liée à l’autonomie accordée aux professeurs de français dans leur réflexion curriculaire[5].

Par ailleurs, le principe de liberté pédagogique entraîne peut-être le fait que toute collectivisation soit perçue comme une contrainte. À la question treize[6], quinze enseignants donnent une réponse affirmative, onze d’entre eux justifient leurs réponses en citant la réécriture et le brouillon comme élément important dans l’apprentissage du français. Or, un seul enseignant  insiste sur le rôle du brouillon qui reste pour lui

« le lieu où sont conservées les traces de l’activité. Dans un premier temps, l’enseignant fait observer les ratures des élèves, dans un deuxième temps, il leur apprend à découvrir leurs propres brouillons, celui de leurs camarades et les principaux gestes de réécriture avec leurs paramètres » extrait d’un questionnaire.

Ainsi, les supports matériels et les outils exercent une médiation dans le travail didactique. Cogérés par les élèves et l’enseignante qui impose parfois leurs usages, ils exercent des contraintes tout en ouvrant des possibilités vers la construction des interactions verbales en classe de FLE. Les supports structurent les discours, et leurs caractéristiques contribuent à créer des situations d’apprentissage. Quatre informateurs évoquent dans les réponses ouvertes des aménagements de forme classique de la copie ou de la feuille blanche. Ces aménagements et les principes qui président au découpage et à l’organisation de la surface d’inscription, ont des enjeux pragmatiques, pédagogiques et cognitifs.

Il est à remarquer que les supports formels aménagés engagent, contraignent et modalisent des types d’échanges et des rôles énonciatifs. D’abord, le support A3 qui stocke les reformulations successives, partage l’espace d’inscription dans la mesure ou il propose successivement à l’élève des zones de textes définies, l’invitant à une réécriture comme en témoigne l’exemple ci-dessous :

« ils laissent au préalable une bonne marge à droite de la feuille : 2/3 pour le premier jet et 1/3 pour l’amélioration et ils réécrivent dans cette partie pour étoffer tel ou tel paragraphe » extrait d’un questionnaire.

 

Ensuite, le format classique aménagé pour faciliter l’inscription de modification, se trouve en marge et dans le corps du texte :

  •  

De surcroît, le cahier de texte est un support apparemment valorisé dans la micro-culture de la classe comme l’affirme le propos d’un enseignant : « le cahier de texte est un support important pour moi ». Cette appellation témoigne de la dimension culturelle des pratiques enseignantes. Elle évoque en effet les pratiques de la Pédagogie Freinet[7].

Enfin, les élèves inscrivent leur premier jet, le deuxième et le dernier du résultat final qui seront transcrits sur la double feuille ramassée. À la fois support de stockage et d’exercices, ce support érigé en outil d’apprentissage rassemble les écrits intermédiaires, garde en mémoire les étapes du processus de rédaction et confère par conséquent une valeur certaine aux brouillons successifs.

En ce qui concerne l’inscription numérique, nous nous rendons compte que le traitement de texte est encore rarement employé d’après les discours des professeurs. Il intervient surtout lorsque l’activité d’écriture est terminée. Cinq enseignants l’utilisent en vue de valoriser le produit fini par l’édition de la version finale et sa publication sur papier ou en ligne : saisie, mise au net, impression, publication sur le journal du lycée :

« saisie informatique et publication sur le journal du lycée » extrait d’un questionnaire.

Deux professeurs remplacent le stylo par le clavier tout au long du processus rédactionnel. L’outil exige de la part du professeur une véritable acculturation numérique, mais il semble que les effets de ce médium d’écriture soient appréciés, car il facilite et favorise les opérations génétiques [8] (remplacement, déplacement, insertion, suppression) :

« Je découvre la classe, très intéressant pour différencier l’aide/ la remédiation en vue de l’amélioration des textes. Jeu des couleurs, soulignement, découpage des textes) je sollicite les élèves pour qu’ils me rendent un travail tapé à l’ordinateur (on retouche plus facilement le texte) » extrait d’un questionnaire.

L’activité d’écriture assistée par ordinateur est aussi envisagée mais exceptionnellement : 

« je vais utiliser l’an prochain des logiciels d’écriture de contes » extrait d’un questionnaire.

L’utilisation du traitement des textes est loin d’être intégrée dans les modèles dominants de notre échantillon.

Les discours oraux et écrits, accompagnés d’activités d’ordres différents, s’appuient sur d’autres instruments, éléments importants de l’univers disciplinaire. Du côté des écrits ressources, soixante-douze professeurs proposent des outils langagiers pendant les séances d’écritures et d’amélioration. Il s’agit essentiellement de dictionnaires de langue (61), du cahier contenant l’ensemble des cours (32), de précis de conjugaison (26) ou de manuels scolaires (18), qui constituent l’ensemble des caractéristiques tangibles de l’univers disciplinaire. L’ensemble des ressources jouent ainsi, pour les enseignants, un rôle important dans la construction des interactions verbales en classe de langue.

Cependant, les ressources numériques sont peu utilisées (3). Quand une phase de recherche a lieu avant ou pendant l’écriture, elle s’appuie encore majoritairement sur des documents imprimés. Un enseignant évoque un écrit intermédiaire construit à partir des premiers jets. Il s’agit du réservoir de mots de la classe, liste de lexèmes élaborée par le professeur d’après les ressources langagières du groupe. Ce savoir commun partagé est probablement institutionnalisé afin d’endosser le rôle de référentiel collectif :

« les élèves écrivent seuls au début de la séquence. Je ramasse les textes collés sur une feuilles A3 pour construire le réservoir de mots de la classe et je les annote » extrait d’un questionnaire.

Nous constatons que ce sont les banques de textes qui sont le plus rarement mises à disposition des élèves : sept questionnaires seulement mentionnent des textes comme données langagières à réutiliser, qui pourraient favoriser l’intertextualité et l’interdiscursivité[9] comme dans les ateliers d’écriture décrits par ORIOL-BOYER[10]. Les professeurs de notre échantillon semblent rarement encourager leurs élèves à écrire en s’appuyant sur des textes-sources. Les outils mis à disposition sont essentiellement des ouvrages de références sur la langue. Par contre, les enseignants déclarent assez souvent proposer des écrits structurants ou même rendre leurs utilisations obligatoires.

L’écriture est alors outillée et/ou critériée : l’usage de « fiches-outils » est signalé 16 fois et 12 questionnaires indiquent l’emploi de grilles d’autocorrection et/ou d’évaluation et/ou de relecture qui renvoient à un ensemble de critères imposés par le professeur ou co-élaborés (2).

Ces grilles, qui comportent une dimension contractuelle, vont cadrer les échanges avec le professeur, les pairs ou encore avec lui-même. Elles peuvent guider une ou plusieurs phases de la production (écriture, révision, réécriture), mais aussi servir à une évaluation intermédiaire ou à une évaluation finale :

« J’emploie des tableaux (« barèmes ») que j’amène les élèves à les noter sur leur copie. Ces tableaux reprennent les attentes, ce sont des items. Je coche des cases pour signaler que des items sont « réalisés », « non réalisés » ou « en cours ». Dans l’évaluation finale ce repérage donne lieu à des points » extrait d’un questionnaire.

Cette déclaration rappelle l’utilisation circulaire de grilles et de tableaux d’évaluation sans qu’il y ait évolution dans le cours du processus d’écriture. D’autres types d’écrits vont jouer un rôle déterminant en vue de susciter des tâches langagières et en vue de structurer l’activité cognitive des élèves : il s’agit des inscriptions professorales notées sur les productions, parfois oralisées au cœur des interactions didactiques.

En résumé, pour les professeurs de français enquêtés, les programmes et les instructions sont des éléments régulateurs de tout travail. Cependant, seulement douze d’entre eux livrent spontanément des indices de l’apprentissage de l’écriture au lycée en mentionnant par exemple l’importance donnée au brouillon dans les documents d’accompagnement. Les enseignants semblent entretenir, en majorité, un rapport distancié et modulé aux injonctions institutionnelles tout en ayant conscience de leurs responsabilités professionnelles et de leurs rôles médiateurs. En fait, cela peut montrer que les enseignants s’intéressent surtout à l’espace d’autonomie dont ils disposent pour adapter les préconisations officielles à leurs contextes : les pratiques d’enseignement n’étant pas simplement le reflet de ce qui est recommandé.

  1. Outils médiateurs

La lecture de la transcription du 20 février 2012 montre que « Amal » prescrit à ses élèves l’usage de fiches-outils que l’on pourrait classer dans la catégorie d’«écrits intermédiaires[11]». Le terme intermédiaire

« peut être pris dans de nombreux sens : intermédiaires entre deux états d’un écrit à mettre en forme, entre deux états de pensée, entre les membres d’un groupe de travail, entre des écrits et des oraux, etc. On gardera deux sèmes essentiels : le caractère médiat, être une médiation entre deux sujets, entre deux discours, entre le sujet et lui-même ; le caractère transitoire et lié à des situations précises de travail [12]».

Nous appelons «écrits intermédiaires» les écrits qui se situent entre le brouillon, promis à une destruction immédiate, et les formes dignes de conservation et d’évaluation (cahier du jour, cahier de sciences, copie...), cahiers d’essai, listes, cahiers d’écrivain, carnets de notes, cahiers d’expériences, journaux de bord.

En effet, d’après « Amal », ces outils sont évolutifs et ils sont co-construits par les élèves :

048. A : (…) ça m’intéresse + ça m’intéresse aussi dans le sens où la fiche outil c’est une reformulation de la leçon+ ça m’évite de leur dire d’apprendre bêtement la leçon tant + en général ils ne comprennent pas + je déteste leur donner à apprendre les messages sans_avoir pu soit en parler avec eux + soit leur faire reformuler + parce qu’autrement + quand tu leur demandes de reformuler pour construire des outils + tu te rends compte que souvent + ils n’ont rien compris

(Entretient du 12 janvier 2012 ; annexe 12)

 

            « Amal » précise dans les entretiens que les fiches-outils sont élaborées avec des élèves quand elle en a le temps. La pression temporelle peut expliquer l’absence de verbalisation d’élèves sur les documents mobilisés pendant les séances observées. En effet, les fiches-outils mentionnées pendant les interactions-cours sont composées d’extraits de cours et donnent à voir très peu de reformulations énoncés par les élèves. Cela peut aussi indiquer que la professeure n’a pas encore achevé son propre travail d’adaptation de la ressource (fiche-outil» issue de la culture du groupe de l’établissement où elle était affectée premièrement :

039. MP : l’usage de fiches outils c’est quelque chose qu’on t’a montré en formation ?

040. A: non c’est quelque chose qui était pratiqué dans l’établissement où j’étais affecté premièrement + c’était un établissement zone rurale + donc il y avait un vrai travail d’équipe + même si il y avait pas mal de collègues qui ne s’entendaient pas entre eux + la politique de l’établissement + c’était voilà tout le monde travaille en équipe + donc par exemple on commençait l’année + il y avait des vraies progressions + moi quand j’ai commencé mon année de tronc commun+ j’ai pas vraiment eu le choix + je pouvais les traiter comme je voulais mais il y avait telle et telle notion à faire + donc là bas ils faisaient des fiches outils + en fait j’ai dû faire moi aussi des fiches outils + donc je les_ai faites + et j’ai gardé le principe quand je suis arrivé en première année de titulaire dans ce lycée + donc j’ai gardé le principe des fiches outils + puis ça marche bien parce que ça permet à l’élève de se dire qu’en français on a aussi des leçons.

             L’idée de ce dispositif d’aide provient-elle aussi, de cette culture spécifique d’établissements ? Quelles traces discursives de l’apprentissage de l’écriture nous livrent les entretiens menés avec « Amal» ?

              « Amal » ne se réfère pas à des ressources spécifiques susceptibles de l’aider à bâtir son dispositif. À son avis, l’écriture d’un texte narratif complet sert explicitement à évaluer les savoirs enseignés au cours de la séquence :

137. A: parce que pour bien écrire déjà il faut bien lire le sujet + il faut bien lire les consignes + éventuellement il faut réinvestir le texte qu’on a lu en cours + on doit bien utiliser la grammaire parce qu’il faut rédiger les phrases + on doit énormément orthographier son texte + tu vois c’est_un mélange de toutes les compétences + toutes les dominantes du cours ça amène à un exercice d’écriture + donc quand tu les fais écrire beaucoup + tu les fais en même temps travailler sur plein de trucs + c’est une forme d’évaluation de ma séquence et pour moi ça me permet + ça me permet d’aider l’élève à progresser + parce que ça me permet de voir comment il met en œuvre toutes les compétences du cours de français pour se faire comprendre quoi + c’est peut_être plus explicite qu’un devoir surveillé bilan + peut_être +,ça permet de voir si il sait se faire comprendre aussi + du coup pour moi l’exercice d’écriture est très important + c’est pour ça que j’essaie de les faire écrire souvent + et l’exercice d’écriture ça laisse une trace c’est une production personnelle + ça leur appartient

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

            La production d’un texte complet est donc catégorisée comme le « lieu de couronnement de l’ensemble des activités[13] » menées au cours de la séquence. La démarche d’amélioration du texte effectuée par l’élève met en conformité sa production avec un produit attendu et défini par l’enseignante :

095. A : j’ai insisté sur les qualités d’Oluf + j’ai bien complété la fin du schéma narratif + enfin tu vois des trucs dans ce style mais je vais leur faire dégager à eux + c’est_à dire je vais leur faire analyser le sujet de façon à ce qu’ils dégagent ces critères là et les mettent dans mon petit tableau + et puis il faudra + quand on aura rempli ce tableau + le but ce sera de leur faire relire leur propre devoir et le renseigner + acquis non acquis + je pense que oui + je pense que à moitié tu vois + ou je pense que je ne l’ai pas fait + je vais leur faire faire ça + et puis je vais

essayer de trouver un truc + je n’ai pas encore trouvé mais je vais réfléchir par exemple D elle n’aura peut-être pas (… ?) elle n’arrivera peut-être pas à insérer une petite description

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

            Pour tenir compte des points forts et des besoins de ses élèves et pour veiller à ce que ceux-ci aient une chance égale de devenir des rédacteurs compétents, l’enseignante adapte le rythme et l’intensité de son enseignement ainsi que le niveau de difficulté du matériel et des ressources utilisées. Les interventions précoces et continues sont axées sur les compétences de base et les pratiques d’enseignement efficace qu’ « Amal » emploie normalement, avec certaines adaptations : diminuer la longueur du texte, limiter le nombre de types de phrases, fournir le début du texte…

            Par les évaluations diagnostiques et formatives, l’enseignante  détermine le profil de chaque élève et elle identifie ceux ayant des besoins particuliers en écriture. Le développement de bons outils d’observation  permet à l’enseignante d’identifier les habilités, les éléments d’écriture, les notions et les stratégies qui doivent être enseignés, revus ou consolidés. Les données recueillies ont aidé l’enseignante à prendre des décisions judicieuses concernant la planification des interventions verbales auprès de ces élèves :

038.1. A : Cela va redonner davantage de valeur au travail de l’élève fait par l’élève mais pour moi même si c’est fait avec les parents + pour moi j’identifie les besoins particuliers. J’essaie de développer les outils d’observation afin d’identifier  les habilités, les éléments d’écriture, les notions et les stratégies qui devaient être enseignés et prendre des décisions judicieuses concernant la planification des interventions verbales.

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

            L’enseignante donne beaucoup d’importance à l’adaptation des situations d’enseignement, au niveau de difficulté des textes, à la complexité des référentiels, aux contenus, aux processus et aux productions. Pour ce faire, elle assure qu’il faut prévoir des cartes sémantiques pour aider les élèves à étoffer leur vocabulaire et à s’exprimer plus clairement par oral et par écrit : elle met l’accent sur le temps supplémentaire qu’il faut l’allouer pour aider ses élèves à réussir :

038.1. A : j’essaie d’adapter des situations d’enseignement relative à l’écriture vu les difficultés des textes, les contenus, les processus. Je mets en évidence des cartes de sens pour enrichir le vocabulaire de mes élèves.

            L’expérience de « Amal 2 » est l’occasion d’intégrer le TBI. Sa stratégie consiste à mettre en scène des interactions par les écrits des apprenants avec notre collaboration. En effet, le choix d’un texte-support est imposé en raison du dénouement de l’histoire, du caractère généreux du personnage comme le confirme « Amal 2 » :

040.  Amal 2: ah c’est le côté comment dirais-je sentimental + non pas par rapport aux_élèves parce que sans ça j’aurais choisi tous + {@ euh tous + tous les textes de / enfin je veux dire le texte de chaque élève} mais parce que ce sont des_élèves qui qui ne veulent pas qu’une histoire se termine mal + et donc pour eux il était INconcevable d’imaginer que le PAUVRE petit_oiseau ou que le  pauvre canard allait se faire manger par le chat + donc il fallait + il ne fallait pas non plus que le chat soit méchant + ça n’entrait pas dans leur fonctionnement ::  comment dirais je euh  + mental de ce que doit_être un conte + parce que la plupart des contes se terminent bien + sauf évidemment la petite marchande d’allumettes + pour eux c’était inimaginable que des animaux + comme ça + qu’il y en ait un pour tuer les_autres + donc là là il ne faut   pas manger l’oiseau ni le canard mais jouer avec eux + et c’est ça qui transparaît dans leur texte + et c’est ça que j’ai privilégié + parce que ça n’est pas terre à terre

–discussion du 07/6/2012

            Le texte source de cent vingt-six  mots est proposé par l’enseignante dans sa version originale, non orthographiée. Il a été réalisé en quinze minutes, et lu ensuite par son auteure R à l’ensemble de la classe. L’écrit a été saisi par ordinateur en respectant la mise en page de l’élève. Ce texte ne donne pas à voir les cheminements de sa fabrication : ni ratures ni opérations de réécritures et ni corrections ne sont décelables. Voici le texte tel qu’il apparaît sur le TBI (voir aussi photo suivante[14]) :

 

«Le chat il avait très très faime puis il voulait atrape l’oiseau appres il a atrape les zele de l’oiseau et Pierre il a sauve la vie de l’oiseau et le chat il est parti et le pouvre oiseau il pouve

Pasvoler il était très très trist il pouve pas chante et pas sifle. Et un jour Pierre il a demande a la Lune pour que son amie il chante ou sifle tout les matin.

Le matin le pouvre l’oiseau il a essayer de voler puis il a reusi de voler et il a chente et sifle

Et Pierre il étaite très très contonte avec son petit l’oiseau et le chat il est venu de se excuser devant le chat »

 

 

Quels problèmes présente cette production ?

Nous avons retenu, pour l’analyse de ce texte, la démarche proposée par le groupe EVA qui retient quatre niveaux. La première entrée est le niveau pragmatique-énonciatif. Certes, le texte est thématiquement reconnaissable comme produit scolaire, c’est un écrit bref mais textuellement et discursivement achevé. Il  se présente comme une tentative de récit classique, donnant à voir les connaissances du scripteur, relatives à la structure d’une histoire, à l’intérêt dramatique suscité par la rencontre entre le chat et l’oiseau, à l’insertion de paroles rapportées. La production montre aussi que l’auteure a bien intégré les principales caractéristiques du conte comme genre discursif, ancré dans un univers merveilleux, aux dimensions spatio-temporelles peu déterminées.

La seconde entrée est relative au niveau textuel ou transphrastique. En effet, du point de vue de la structure générale de la narration, nous pouvons qualifier cette production de « récit », texte dont la progression thématique et les enchaînements ne posent pas problèmes à la lecture. S’inscrivant dans les systèmes temporels du passé et fortement structuré par les connecteurs temporels, le texte présente deux occurrences de « puis », une occurrence de « après », sept occurrences de « et », ainsi que deux indicateurs de temps «un jour » et « le matin ». Par ailleurs, l’usage des connecteurs temporels est pertinent ; seul le premier énoncé présente une juxtaposition de trois actions non articulées ainsi que quatre occurrences du connecteur « et ». L’alternance imparfait/passé composé est bien maîtrisée. De surcroît, la ponctuation, marque de mesure, est réduite. Nous notons l’absence de virgules mais les quatre majuscules initiales sont réalisées ainsi que trois points terminaux sur quatre sont employés de façon conventionnelle pour borner des énoncés complets. Les deux points tracés à l’intérieur du texte correspondent à des frontières de phrase et marquent une péripétie importante, celle de la demande de Pierre, adressée à la Lune, adjuvant.

La troisième entrée est une entrée phrastique. Ainsi, du point de vue syntaxique, nous observons que le texte respecte certaines régularités syntaxiques même si le degré de développement de son interlangue ne lui permet pas encore de satisfaire à toutes les conventions du code écrit, notamment ce qui concerne les constructions verbales.

Enfin, au niveau infra- phrastique, la segmentation en mots graphiques ne pose pas de problème ; l’élève utilise le blanc typographique comme une marque scripturale spécifique et les groupes rythmiques du continuum oral organisés selon les découpages de l’écrit. La dimension « langue maternelle » n’a pas beaucoup d’influence sur la segmentation, puisque nous ne décelons qu’un seul problème de découpage spécifique à la langue française dans le syntagme « les zele ».

La correspondance phonie-graphie présente quelques lacunes : certains sons ne sont pas transcrits, notamment en raison de l’absence d’accents graves et aigus : un accent grave au lieu de deux dans tout le texte, un accent aigu au lieu de sept, car la graphie « e » semble remplacer la graphie « é » en terminaison des participes passés. Nous relevons quelques fautes de traitement des voyelles, des erreurs concernant le rapport phonie/graphie, ainsi qu’une erreur relative au traitement d’une consonne :

 

Tableau 26 : Classement des erreurs du texte corrigé (« Amal 2 »)

  •  

Des nasales

  •  

Des consonnes

  •  

Des voyelles

Contonte/ contente

  •  
  •  
  •  
  •  

Les zele/les ailes

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

 

Après ce recensement, nous pouvons dire que l’élève possède déjà une bonne connaissance des codes scripturaux : 29 mots sur 52 ont fait l’objet d’un apprentissage personnel, ont été mémorisés et sont employés de façon pertinente. Du point de vue morphologique, il est possible que la convention scripturale de la marque du pluriel dans le syntagme nominal n’ait pas encore été intériorisée par l’auteure : nous notons deux occurrences où la marque du pluriel se limite au déterminant, dans le système nominal : « les zele, tout les matin ». Les marques du genre féminin sont fautives, le graphème « e » étant un indice difficilement interprétable pour l’adjectif « contonte » et peut-être dû à la proximité du syntagme « la lune » dans le contexte, pour « son amie ». Il s’agit d’améliorer collectivement le texte de R pour aboutir à un produit scriptural fini. Alors, comment l’enseignante gère-t-elle, les modalités sémiotiques pendant cette séance ?

Pour « Soumaya », l’outil-grille joue un rôle crucial lors de l’activité d’écriture comme l’affirme l’extrait ci-dessous :

037. S : tu vois ça ? (S montre une grille) je vais la donner aux élèves + don ça c’est la grille qui va les_aider + parce que quand je suis passée dans les rangs il y a beaucoup de choses que j’ai vues qui n’allaient pas bien sûr + et je me suis dit à la rentrée je vais intervenir

038. MP : oui

039. S : et je vais donner ça et je vais passer dans les rangs + je voudrais vraiment qu’on fasse une différence entre ce qu’ils_ont fait pendant une heure sans que j’intervienne vraiment + et ce qu’ils peuvent faire avec la grille et avec ce qu’on a vu ensemble

(Entretien avec S – 18 février 2012, annexe 45)

 

D’après ses propos, la grille joue un rôle médiateur aussi important que celui de l’enseignante. Cette dernière ne donne pas d’informations sur les ressources qu’elle a utilisées ou qu’elle a transformées pour élaborer l’outil. Or il est évident que le propos rappelle les guides de relecture proposés aux apprenants lors des tests d’évaluation d’entrée, qui reprennent, en les transformant à peine, des consignes de production :

Avant de recopier, tu vas relire ton premier texte pour l’améliorer. Barre, rature et réécris si tu penses que c’est nécessaire. Corrige, en t’aidant des questions ci-dessous, pour que le lecteur comprenne bien ton histoire et que ton orthographe soit plus correcte.

As-tu tenu compte des quatre consignes ?

  • Le début
  • Ce qui arrive
  • La fin
  •  La longueur (20 lignes)

As-tu utilisé des majuscules et des points pour que le lecteur de ton texte reconnaisse les phrases ?

As-tu vérifié les accords sujet-verbe ?

Quand tu auras fait toutes ces vérifications, recopie ton texte sur les pages 10 et 11. Pour t’aider on a numéroté les lignes : il y en a 40, alors qu’on t’a demandé d’écrire au moins 20 lignes. Cela te permet de ne pas écrire plus si tu le désires, mais aussi de barrer pour faire quelques corrections supplémentaires.

Ainsi, nous pouvons constater que l'oral est envisagé comme « opérateur de l'appropriation des savoirs [15] », il est outil langagier et cognitif du travail de négociation et de construction du sens. La confrontation des conceptions des élèves, dans le cadre d’un travail de groupe, permet à l’enseignante et au groupe  de formuler le problème à traiter et de contribuer à la construction de connaissances. La verbalisation serait à la fois la trace de ce processus de construction mais également le moyen.

  1. Les grilles critériées et leurs variantes

Les quatre professeures proposent des grilles critériées à leurs élèves (cf. annexes 6, 22, 34, 51). Elles ne sont pas conçues comme provisoires et ne sont pas élaborées avec les élèves. Réalisés par les professeures, ces outils font partie de leur référentiel professionnel et disciplinaire. Génériques et contraignants, ces outils servent avant tout à guider les élèves dans une évaluation de savoirs et de savoir-faire maîtrisés, repérables dans leurs textes.

La reformulation des énoncés inscrits lors des interactions, par les enseignantes, ne spécifie pas davantage les outils. Ceux-ci prennent partiellement en charge l’opération de planification et servent d’aide-mémoire aux apprenants pour réviser leurs textes. Ces écrits focalisent l’attention sur des aspects de textualisation. Ils signifient l’objet d’enseignement et ils cadrent les interactions. Au plan ergonomique, ils structurent et décomposent la tâche de correction de l’élève pour adopter un comportement de correcteur plutôt que de lecteur :

093. A : que je vais ramasser lundi + je pense que le plus_intéressant pour dire de pouvoir améliorer l’écriture en sachant que c’est une classe très_hétérogène + car la petite D fait des trucs excellents + une fille sérieuse + à côté tu as F + Z + V et aussi G qui a des problèmes + moi j’aime pas dire qu’un élève est limité + là si je le dis c’est parce qu’il y a vraiment un problème + donc il faut un dispositif qui leur permette  à tous d’améliorer leur texte + ça veut dire que D il faut qu’elle puisse aussi améliorer son texte + alors évidemment F, Z  et V pourront toujours améliorer leur texte + mais D + moi je sais que je vais avoir quelque chose qui sera déjà cohérent + quelque chose qui ressemblera bien aux consignes + quelque chose qui sera déjà bien mis en page + voilà donc il faut que elle aussi elle puisse s’améliorer + alors ce que j’ai prévu de faire c’est un tableau vide + au niveau  de l’analyse de la consigne et du sujet + on va remplir avec des critères d’évaluation + donc par exemple j’ai insisté sur la violence de la tempête

094. MP : oui

095. A : j’ai insisté sur les qualités d’Ouf + j’ai bien complété la fin du schéma narratif + enfin tu vois des trucs dans ce style mais je vais leur faire dégager à eux + c’est_à dire je vais leur faire analyser le sujet de façon à ce qu’ils dégagent ces critères là et les mettent dans mon petit tableau + et puis il faudra + quand on aura rempli ce tableau + le but ce sera de leur faire relire leur propre devoir et le renseigner + acquis non acquis + je pense que oui + je pense que à moitié tu vois + ou je pense que je ne l’ai pas fait + je vais leur faire faire ça + et puis je vais essayer de trouver un truc + je n’ai pas encore trouvé mais je vais réfléchir par exemple D elle n’aura peut-être pas (… ?) elle n’arrivera peut-être pas à insérer une petite description

(Entretien avec A –24/4/2012, annexe 13)

1.2.1.2.Les fiches-outils

Deux professeures sur quatre construisent des fiches-outils pour améliorer les textes. Elles sont en principe co-élaborées par le groupe-classe et son enseignante, mais celles que nous avons pu lire sont conçues par les enseignantes et elles présentent un montage d’extraits de manuels et de méthodes (cf. annexe 8). Elles proposent les contenus traités en cours et elles témoignent de l’enseignement des notions listées dans les programmes officiels. En outre, ces fiches font office de « leçon » et elles peuvent ainsi rassurer les élèves et les parents quant à l’avancée du travail disciplinaire :

040. A : j’ai gardé le principe des fiches outils + puis ça marche bien parce que ça permet à l’élève de se dire qu’en français on a aussi des leçons + parce ce que quand on marche par bilans partiels et ça je l’ai fait aussi parce qu’après j’ai arrêté les fiches outils donc j’ai fait quelques_années sans fiches outils et là cette année j’ai repris les fiches outils + parce que je me suis rendue compte que quand on fonctionnait par bilans partiels comme ça + pour les_élèves c’était décousu + c’est_à dire que dans leur imaginaire pour eux il n’y a pas de leçon

041. MP : d’accord

042. A : je ne sais pas pourquoi dans l’imaginaire des_élèves + une leçon tu vois c’est un bloc d’une page enfin

043. MP : comme dans les_autres disciplines peut_être

044. A : voilà + comme dans les_autres disciplines effectivement + donc moi je me suis aperçue de ça dans la pratique + et l’avantage de la fiche outil c’est de pouvoir avoir toujours sous la main des choses qui sont parfois dans les manuels et que tu ne vas pas forcément chercher dans les manuels quoi

(Entretien avec A – 24/4/2012, annexe 13)

  1. Les « erreurs »

Trois classes sur les quatre observées bénéficient d’une séance d’ « outils de langue » consacrée à la correction des phrases erronées prélevées dans les copies (cf. annexe 23 et 65). Il s’agit dans tous les cas de travailler en priorité l’orthographe grammaticale ou des problèmes syntaxiques ou référentiels au niveau d’un syntagme, d’une phrase ou d’un enchaînement de deux ou trois phrases.

Cette activité tient donc compte des productions et des erreurs des élèves. Elle permet de traiter un grand nombre de notions en une séance d’une à deux heures et de rappeler les règles de la norme linguistique. C’est un moyen pour introduire une séance « outils de langue » dans une séquence d’écriture comme en témoigne « Chaymae » :

103. MP : alors pour la correction collective d’aujourd’hui + tu as sélectionné les phrases comment ?

104. Ch  : d’abord, j’insiste sur l’importance de la correction des fautes. C’est un moyen aisé d’introduire une séance «outils de langue », je les_ai sélectionnées en fonction du type d’erreurs que je retrouvais le plus souvent + les erreurs que je revoyais le plus, en plus les instructions en recommande.

105. MP : oui

106. Ch  : et surtout ces erreurs que je revoyais le plus + je les_ai moins vues + parce que c’est quasiment les mêmes_erreurs qu’avant

(Entretien avec « Ch » –  31  mai 2012, annexe 66)

Rappelons que cette tradition de correction de fautes est ancienne et que les instructions recommandent l’activité. En effet, la correction des erreurs constituent vingt-cinq pour cent de la note totale attribuée à la matière « français »[16] :

 

Critères d’évaluation du discours

Pourcentage alloué

Barème de notation

conformité de la production à la consigne d’écriture,

25%

5 Points

cohérence de l’argumentation

Structure du texte (organisation et progression du texte)

Critères d’évaluation de  la langue

25%

5 Points

Vocabulaire (usage de termes précis et variés)

Syntaxe (construction de phrases correctes)

Ponctuation (usage d’une ponctuation adéquate)

Orthographe d’usage et grammaticale (respect des règles)

Conjugaison (emploi des temps)

Total

50%

10 Points

 

  1. Le TBI

Pour «Amal 2», l’acquisition de la norme linguistique à l’écrit est fondamentale[17] dans la mesure d’élèves l’intégreront l’année prochaine (1ère année du baccalauréat). Les élèves doivent donc être sensibilisés à la norme des procédures le plus rapidement possible, ce qui l’inquiète. L’apport du TBI en classe de langue d’« Amal 2» pour l’amélioration de l’écrit est d’une aide précieuse à la construction des interactions verbales. Outre son aspect multimédia, le TBI présente de nombreux atouts non négligeables :

  1. Il favorise l’intégration des TIC en classe de manière simple et progressive ;
  2. Il  permet à l’enseignante d’apporter des réponses rapides et adaptées à son public grâce aux fichiers contenus dans l’ordinateur, sur une clé USB…, ou grâce à des recherches immédiates effectuées sur Internet ;
  3. L’enseignante a la possibilité de conserver la trace de la séance de travail grâce au logiciel et de pouvoir la mettre à disposition des apprenants, d’y revenir ultérieurement pour un approfondissement ou de modifier cette séquence pour l’adapter et la réutiliser avec un autre groupe ;
  4. L’usage du TBI a développé la créativité de l’enseignante et  enrichit sa pratique de classe ;
  5. L’apprenant a participé activement au cours, par la manipulation du TBI, car l’attrait du TBI favorise le retrait de l’enseignante[18] devant de la classe au profit d’une grande implication physique et intellectuelle des apprenants.

L’intégration du TBI dans cette expérience se mesure en matière d’interactions sociales et langagières générées entre tous les acteurs de la classe. Le TBI ne simule pas des interactions réelles, mais il les stimule bien davantage. C’est son rôle essentiel. Il contribue à soutenir la dimension sociale de l’apprentissage comme en témoigne VION[19].

Ainsi, nous distinguons la notion d’interactivité d’ordre technique de celle d’interaction qui est humaine voire entre en seignante et élèves ou entre élèves. L’interactivité même réduite à ce dernier soutient les interactions. Il convient donc de ne plus opposer médiatisation technique à la médiatisation humaine. Comment alors se partagent les rôles entre l’enseignante et le TBI ? Il faut préciser la place de l’outil dans la relation des apprenants entre eux et avec l’enseignante dans les activités et les objectifs qui les regroupent.

En effet, les outils représentent des potentiels latents d’interactivité qui s’actualisent dans des situations d’enseignement et qui favorisent l’apprentissage. L’interactivité devient ainsi 

« un état potentiel dynamisé par les situations pédagogiques et didactiques dans lesquelles les savoirs et surtout les apprenants et les enseignants entrent en interaction»[20].

Nous signalons que l’interactivité de l’outil trouve son sens dans l’interactivité de la situation didactique. L’actualisation de l’interactivité dans la classe de « Amal 2 » est faite par les activités demandées aux apprenants et sollicitées à la fois par le TBI et l’enseignante dans le cadre de ces situations. Le TBI ne supprime pas le manuel, les documents en papier, mais il permet d’augmenter la participation des apprenants en leur permettant de prendre part à des moments privilégiés de la progression allant de la phase de découverte à la phase de correction. Le rôle de l’enseignante n’est pas modifié.

Or, la préparation exige uniquement une sélection de médias qui servent de supports pour la construction de la séquence. «Amal 2» gère les interactions conversationnelles avec les apprenants. Ces interactions, dans la classe, « fonctionnent sur égalité de principe entre les participants »[21]. « Amal 2 » tente de veiller à la qualité des interactions verbales.

En effet, le feedback a pris différentes formes et plusieurs fonctions. Il n’est pas associé à la correction des erreurs de l’apprenant. Il a permis de fournir des renseignements devant permettre à l’apprenant de prendre en charge la modification de sa production. « Amal 2 » gère les interactions sociales et les relations interpersonnelles entre les apprenants, lieux des interactions humaines, par lesquelles les comportements de ces individus s‘influencent mutuellement et se modifient chacun en conséquence.

Donc, nous disons que l’usage du TBI est orienté à la fois vers l’apprenant dont le rapport avec cet outil véhicule des enjeux cognitifs (apprendre le français dans un contexte marocain) et, pour l’enseignante, des enjeux constructifs (son développement professionnel)[22].

  1. Les ressources humaines comme médiation aux interactions verbales
    1. Les interventions orales des professeurs

L’analyse des interventions verbales des répondants fait apparaître les choix pédagogiques et didactiques sous-jacents. Une première remarque s’impose à la lecture du corpus : dans cette situation communicative inégale, la moitié des enseignants signalent des actions non-verbales associées ou non à leurs interventions orales, mentions qui n’apparaissent pas dans les déclarations des professeurs. Des grimaces, mimes et gestes sont signalés, redondants ou complémentaires par rapport aux modalités graphiques et orales. Les gestes évoqués sont en majorité des gestes de pointage qui ciblent des objets de savoir problématiques pour les élèves en l’occurrence :

  • Le lexique :
    •  
  • L’orthographe :
    •  
  • La correspondance phonie-graphie :

« qu’est-ce qu’on entend à la fin et je montre le mot » extrait d’un questionnaire.

  • La ponctuation :
  •  Je mets point et je montre la fin de la phrase » extrait d’un questionnaire.

À l’oral, l’enseignant commence les séquences interactionnelles. Il introduit des échanges méta-rédactionnels et méta-graphiques après l’inscription comme le montre le graphique ci-dessous. Une seule enseignante adopte un mode de communication orale, explicitement à fonction d’enrôlement comme en témoigne cette enseignante:

«l’oral pour l’instant s’est plus prêté à des encouragements pour montrer aux élèves, selon mon expression, qu’ils sont » tous capables » et que leurs textes peuvent être très aboutis/ mimiques, gestes qui signifient « recommencez »/ onomatopées/ expression « encore faute » pour pointer les fautes » extrait d’un questionnaire.

Ainsi, l’encouragement est le premier niveau de l’intervention verbale.   En plus de la production de l’élève, d’autres écrits sont mis en scène dans l’événement éducatif : ils sont des écrits de référence comme incite les consignes suivantes : « vérifie dans le dictionnaire » ; « regarde comment ce mot s’écrit dans ton cahier » ; « regarde les textes du cahier ». Ni les outils structurants tels que les grilles de critères et les outils sémiotiques relevant de la discipline « français » ne sont employés. Les remarques portent toutes sur la transformation de segments déjà inscrits.

Graphique 15 : interventions orales déclarées

 

 

 

 

  • La substantivation systématique de différents sons par l’emploi de l’article défini « le » : « ou est le [e] ?, « c’est le [u] qu’on entend ? »
  • L’emploi de la périphrase « qu’est-ce qu’on entend ? »(4 fois citée dans le corpus) pour faire découvrir et discriminer les phonèmes et les mettre en relation avec les graphèmes qui les transcrivent.
  • Ces questions illustrent les difficultés éprouvées par les enseignants pour faire comprendre les correspondances existant entre les phonèmes et les graphèmes. Elles témoignent aussi de l’intérêt de ces activités de discrimination auditive permettant un repérage systématique et une mise en correspondance graphique. 

L’utilisation à l’oral d’un métalangage (« point, majuscule, mot, phrase ») qui n’est pas explicité ni par référence à la langue source ni par d’autres explications ne montre que l’apprentissage de ce métalangage a déjà été effectué en classe, ou doit se réaliser par imprégnation :

« Les élèves font leurs textes sauf ceux qui viennent d’arriver qui font d’autres activités (lexique). Je lis le texte avec eux. Je travaille la ponctuation et je sépare les mots. Je note le texte au tableau et l’on discute » extrait d’un questionnaire.

« Bien, je souligne les fautes d’orthographe, j’inscris moi-même les points et je demande les majuscules avec le signe « M » extrait d’un questionnaire.

« Je travaille avec chaque élève. Ceux qui trouvent des difficultés, je les aide à les surmonter puis chaque élève lit son texte et l’on discute » extrait d’un questionnaire.

La prise en charge d’une partie de l’activité de l’élève par l’enseignant fait donc partie des instruments au service de la médiation et de l’enseignant. Il y a recours lorsque cela s’avère nécessaire, notamment dans le cadre de la dictée à l’adulte.

  1. Les interactions élève-professeur

Les modalités « oral » et « écrit » s’articulent au cours des interactions duelles, entre élève et professeur (21 fois), lors des interactions collectives (10 fois), d’échanges entre binômes de pairs (4 fois), et plus rarement en petits groupes (2 fois). Comment les enseignants déclarent aider leurs élèves ?

Un énoncé évoque la collaboration avec le surveillant, mais qui, dans ce contexte, reste dans son champ de compétence institutionnellement reconnu et permet à l’enseignant de se consacrer aux interactions de tutelle[23] :

« Je suis obligé de varier les exercices et c’est difficile. L’avantage c’est que j’aide les élèves individuellement car je travaille quelques heures de soutien avec le responsable de la bibliothèque et là je propose des activités de recherche aux autres » extrait d’un questionnaire.

Cette coopération entre l’enseignant et la bibliothécaire s’accompagne d’un changement de lieu, en l’occurrence la bibliothèque, dont l’organisation spatiale favorise les travaux de groupes.

À la différence de l’organisation du travail décelable dans les questionnaires renseignés, les conduites des enseignants poursuivent plusieurs buts : aider les élèves scripteurs à améliorer leurs productions et aussi aider les autres élèves à progresser à leur rythme, ce qui implique une organisation du travail différencié : vingt-trois répondants sur les trente-et-un professeurs ont répondu à la question 38[24]. Les élèves présentent des besoins différents en raison de l’hétérogénéité de leurs niveaux de compétences communicatives langagières.

De surcroît, cette organisation du travail ne relève-t-elle pas toujours de la pédagogie différenciée[25] ? Dans ce cas, les objectifs visés diffèrent chez les enseignants. Les trois citations qui suivent montrent bien que les compétences rédactionnelles des élèves sont non seulement en cours d’acquisition mais très diverses, ce qui amène les enseignants à diversifier à leur tour, leur palette méthodologique pour mettre en place, simultanément, des activités variées, inscrites dans la zone de proche développement de l’élève (VYGOTSKI, 1985) 

« Les élèves travaillent seuls et je passe dans les rangs pour les aider. Souvent je fais lire des textes et les corriger ensemble. » extrait d’un questionnaire.

« Je donne des exercices différents au tableau ou sur des fiches » extrait d’un questionnaire.

« Je discute avec eux. Quand ils me font une proposition d’amélioration, je l’écris et on discute » extrait d’un questionnaire.

« Certains font des jeux lexicaux, d’autres des exercices d’écriture de phrase à remettre dans l’ordre et les plus avancés écrivent de petits textes » extrait d’un questionnaire.

Les modes d’organisation du travail varient ainsi que les supports comme en témoigne la déclaration suivante : « Je fais des groupes de niveaux à l’intérieur de la classe et je donne des activités différentes, des phrases à remettre dans l’ordre ou à couper, des textes à écrire ou des suites de textes » (doctorant, 15 ans ancienneté). Par ailleurs, les consignes qui cadrent l’activité de l’élève se multiplient pour réduire les degrés de liberté selon BRUNER (BRUNER, 1983) comme en témoignent les enseignants ci-dessous:

« Les élèves travaillent seuls et je passe dans les rangs pour les aider. Assez souvent j’amène les apprenants à lire les textes au tableau et on les corrige tous ensemble » extrait d’un questionnaire.

« Je donne des exercices différents sur des fiches » extrait d’un questionnaire.

            Alors, en quoi consiste l’aide du professeur lors de ses interventions verbales ? Pour répondre à cette question, nous analyserons les trente réponses obtenues à la question 39[26]. Les dix absences de réponses ne signalent pas l’intention de laisser l’élève se confronter au problème. Rappelons qu’il n’est pas facile pour les enquêtés, de se rendre compte, hors contexte scolaire, des énoncés qu’ils formulent lors des interactions de tutelle, d’autant que « les phases varient en fonction de l’élève » comme le souligne une enseignante.

 

  1. Le rôle de l’enseignant

Même si « Soumaya » essaie d’utiliser des outils sémiotiques guidant l’activité de relecture et de révision de l’élève, elle accorde une grande importance au rôle de correcteur de l’enseignant :

111. MP : ils_ont des difficultés à quel niveau à l’écrit ?

112. S : {@à tous les niveaux} il y a de tout il y a de tout + je ne sais pas il y a vraiment de tout + je t’assure que des fois quand tu as envie d’aider un élève + et tu te mets à sa place pour l’aider à améliorer + tu te décourages + quand tu commences à lire tu te dis ah ce n’est pas possible + et sur site informatique + il y a aussi les fautes de frappe + les_oublis + toutes ces petites choses  viennent s’ajouter au reste + ils sont faibles + et ils ne s’en rendent pas compte + c’est_à dire qu’ ils vont relire leur travail + mais madame ça va + tout va bien pour eux tu te dis bon c’est possible + tu vas jeter un coup d’œil + oh la la {@c’est la catastrophe }+ mais ils ne s’en rendent pas compte + donc tu dois reprendre avec chacun d’entre eux + regarde la première phrase + regarde ce que tu as marqué + regarde pourquoi tu as mis ça + après + ah oui ça il faut l’enlever + mais il faut être derrière chacun d’eux + quand tu fais un travail d’écriture tu as intérêt à être en forme + ah oui c’est sûr + {@c’est pour ça que je sollicite la documentaliste à chaque fois} deux on ne sera pas de trop ! mais c’est bien + quand tu vois le résultat après c’est quand même génial + c’est comme le concours je bouquine qu’on voudrait lancer dans notre lycée+ au départ ce qu’ils_ont fait c’était vraiment du n’importe quoi + et après on a passé des_heures à améliorer avec eux + au final on en a quand même eu cinq six qui étaient vraiment des belles_histoires + je veux dire sans + je n’ai pas triché + je ne suis pas allée prendre mon stylo + et faire la suite de l’histoire de l’élève + c’est vraiment avec eux

(Entretien avec S –18 février 2012, annexe 45)

 

            Dans son discours, les modalités d’interventions professorales consistent à solliciter l’expansion des énoncés comme dans l’exemple suivant :

 

« pourquoi tu as mis ça » extrait d’un questionnaire.

ou à valider les propositions des élèves comme en témoigne le propos suivant :

« ah oui ça il faut l’enlever » extrait d’un questionnaire.

Notons que « Soumaya » opte notamment pour l’organisation du travail en binômes où le rôle de correcteur habituellement réservé au professeur est dévolu au pair :

034. MP : ce matin qu’est ce qui était important pour toi dans leur travail d’amélioration ?

035. S : c’était de pouvoir s’aider + je veux dire + au départ j’ai pensé j’ai le choix entre arriver et ramasser leur travail et à ce moment là je ferai comme d’habitude c’est_à dire que je barrerai et je mets toujours les mêmes_observations + orthographe + ponctuation + et  pour aujourd’hui je me suis dit pourquoi pas essayer autrement et ce sera le plus fort entre guillemets qui va jouer le rôle du professeur + et entre eux je pense que ça passe mieux quand c’est un camarade qui remarque + tu as mis ça + qu’est ce que tu veux dire ? je n’ai pas compris + c’était surtout pour ça + c’était pour qu’ils comprennent leurs_erreurs + et qu’ils puissent la prochaine fois se dire  ah mais H à côté de moi me l’a dit + ou Z + je crois que de cette façon là ils retiendraient mieux + parce que avec moi je remets la même chose + je redis toujours toujours la même chose

(Entretien avec S – 21 avril 2012, annexe 48)

 

C’est la première fois dans l’année que « Soumaya » délègue son rôle de correctrice aux élèves, stratégie qui, selon elle, devrait être plus efficace :

116. S : ah  dans les meilleurs + c’était les deux démons qui arrivent à un mariage + au début c’était quoi ? des petites choses mignonnes + ils renversent de l’eau bénite sur celui qui est devant + à la fin ça devenait une scène de ménage + parce que les démons habitaient le corps de la future mariée et du futur + on arrivait à quelque chose de mieux mais on passe du temps + c’est_à dire que si j’avais été inspectée avec cette classe + à mon avis elle m’aurait sans doute critiquée sur la lenteur + ça c’est sûr + on est à ce stade là + vous n’en êtes que ici + je pense que passer trois quatre heures au lieu de une heure ou deux je pense que

117. MP : trois quatre heures pour améliorer ?

118. S : ah oui au minimum trois quatre heures au minimum en étant seule + je m’en fiche

(Entretien avec S –18 février 2012, annexe 45)

 

A la fin de notre période d’observation, elle insiste derechef sur la charge de travail qui pèse sur le professeur de français dans le domaine de l’enseignement de la production écrite de gestion des copies et de correction :

007. S : oui bien sûr + le concours je bouquine on n’a toujours pas les résultats + l’AMEF qui s’est mis en place et qui m’a pris + c’est vrai + mais je me dis bon je vais doucement mais au moins ça profite aux_élèves + tout ça c’est pas perdu + on n’est pas en train de s’amuser + je sais que je vais doucement mais en même temps + ils_ont de la chance de prendre le temps de faire ça + parce que faire un premier brouillon un deuxième

(Entretien avec S – 21 avril 2012, annexe 48)

«Soumaya» reconnaît qu’elle vit, d’un point de vue ergonomique, une situation de travail exceptionnel puisqu’elle bénéficie de la collaboration de la documentaliste et de ses lieux d’enseignements variés. Il est vrai que les trois autres enseignantes observées sont seules avec leurs élèves et que sur les 232 questionnaires collectés, deux documents font allusion à une coopération in situ entre le professeur de français et la documentaliste dans le cas de « Soumaya » et entre le professeur de français et l’encadrant en barre mimio. Les deux professeures déclarent bénéficier d’autant de ressources externes, sociales et matérielles.

  1. Le travail de médiation

Le travail de médiation de la professeure constitue le troisième axe d’étude des entretiens. Dans les entretiens menés avec « Chaymae », se met en place la construction d’une identité professionnelle. Elle affiche en priorité dans ses préoccupations, la transmission du savoir-faire essentiellement en direction d’élèves en difficulté.

073. MP : à ton avis c’est un dispositif qui aide quels styles d’élèves ?

074. Ch  : normalement les_élèves qui sont moyens et les_élèves qui sont en grosse difficulté + en grosse difficulté + les bons_élèves je leur apporte des petites choses ponctuelles + mais les moyens et en grosse difficulté + je les_aide

075. MP : oui

076. Ch  : je leur apprends à + ce sont des_élèves qui n’ont jamais eu de parents derrière eux + que j’aide aussi parce que tout_est méthodique + ce ne sont pas des connaissances + je voulais pas que ce soit tout connaissance + je voulais que ce soit tout méthode

(Entretien du  31 mai 2012, annexe 61)

L’enseignante souligne la nécessité d’inculquer des savoirs procéduraux. Il est possible que l’argument d’autorité « tout est méthodique » renvoie à la mise en place de cours de « méthodologie » dans les établissements.

Le développement des compétences scripturales de « Chaymae » est lié à la répétition des tâches de reformulation que lui donne son inspecteur et à ses conseils méthodologiques. Bien que l’enseignante ne précise pas la teneur de ces préconisations, nous pouvons inférer de son discours que l’inspecteur évoqué est érigé en modèle professionnel de référence, car elle explicite ses critères d’évaluation, ce qui d’après « Chaymae » lui a permis d’être en situation de réussite.

D’autres voix sont convoquées dans les entretiens, notamment celle de l’institution qui réglemente l’organisation temporelle. Il apparaît que l’activité de réécriture aurait dû être limitée dans le temps pour respecter une règle professionnelle :

111. MP : qu’est ce que tu penses de l’ensemble de ton organisation ? Après coup ?

112. Ch : je ne suis pas gênée + je devrais l’être + académiquement parlant + officiellement parlant + je devrais être super gênée + mais je n’y suis absolument pas + car je voulais que ce soit de l’individuel  + tu sais + je voulais qu’on avance à son rythme + à partir de ce moment là + je ne pouvais plus faire une séance une heure + une séance une heure + c’était pas possible + du tout + donc moi j’y suis_allée dans ma logique + en me disant voilà ça commence comme ça séance une + la deuxième étape c’est une séance deux + et puis après le temps imparti je m’en fichais royalement + ce que je voulais c’est qu’ils comprennent + et j’étais étonnée oui + parce qu’il  y avait énormément d’élèves quand même qui ont pris beaucoup de temps pour réécrire + et pour chercher les_idées + c’est phénoménal

113. MP : pourquoi tu dis que tu devrais être gênée académiquement parlant ?

114. Ch : parce que on a l’habitude de dire qu’une séance c’est une heure + voire deux_heures mais sûrement pas trois_heures + or ma séance de réécriture + elle a pris trois_heures

(Entretien du 31 mai 2012, annexe 61)

 

La règle professionnelle du découpage temporel en séances d’une heure qui impose des coupures dans le champ didactique et dans le temps d’écriture des élèves est prégnante. Le souci de justifier cette organisation temporelle préoccupe « Chaymae » qui thématise immédiatement la gestion de la temporalité en réponse à la question de son interlocutrice. À la rigidité du découpage prôné par la communauté professionnelle, son discours oppose l’importance du temps à accorder aux apprenants. Cette rigidité est reprise d’un principe récurrent dans les écrits analysant la pédagogie de projet[27]et qui prouve la règle qu’elle dit être véhiculée par les instances décisionnelles[28] et qui ne peut être appliquée au quotidien.

Le discours montre, par l’emploi répété de la négation et par l’énoncé « je m’en fichais, royalement », l’affirmation et l’orientation de soi, à quel point le déroulement des séances, bien que programmé d’une manière détaillée dans les documents de planification, est envisagé avec souplesse dans sa durée pour respecter les rythmes d’apprentissage des élèves. En rapportant un discours dont la source n’est pas identifiée (« on a l’habitude de dire que… ») et qui s’inscrit dans la culture collective de la communauté enseignante, et dans la doxa institutionnelle, « Chaymae » prend position en lui opposant un aspect de sa réalité de praticienne comme elle le signale : « or, ma séance de réécriture, elle a pris trois heures ».

Lors des auto-confrontations, les propos de l’enseignante ne mettent point l’accent sur les seuls actes d’enseignement, mais sur l’interaction dans sa dimension collective, sur le groupe d’apprenants et sur le déroulement de leurs échanges. L’apprenant est vu désormais comme appartenant à un groupe social dans lequel il se fond. Cependant, ce rééquilibrage ne va pas tant dans la direction d’un effort pour envisager la classe comme lieu de progression langagière, que pour l’instaurer comme lieu de parole et de socialisation.

La nature et la fonction des outils médiateurs mis à disposition des élèves sont interrogées lors des entretiens. La fiche-outil qui cadre le travail de relecture et de réécriture de l’élève est un exemple récurrent :

045. MP : qu’est ce que tu appelles les fiches outils dans les cahiers des_élèves ?

046. Ch  : ce sont des fiches qui reprennent en fait  tout ce qui est grammaire tu sais + grammaire + orthographe + vocabulaire + conjugaison + (La professeure cherche son classeur et feuillette ses fiches) comme là leur fiche outil numéro un + c’était les niveaux de langue + mais tu peux aussi avoir des fiches outils sur le genre narratif ou alors le portrait + là ils_ont des fiches outils sur le mythe ou sur l’épopée + tu vois + fiche numéro deux + définir une émotion un sentiment + ce sont des outils de réflexion + schéma narratif rappel + enfin tout ça quoi + avant il n’y avait pas de méthodologie + au lycée + tiens fais un commentaire composé ! moi je n’ai jamais appris à faire de commentaire composé

(Entretien du 10 mai 2012, annexe 52)

 

Les propos de l’enseignante ne donnent pas de précisions sur l’élaboration de la fiche. D’après nos observations, il s’agit de textes définitoires qui parfois indiquent des procédures à suivre et parfois des plans de travail pour rédiger. Une précision autobiographique relie ces fiches aux besoins d’une

« méthodologie déficiente dans l’histoire scolaire personnelle de l’enseignante » extrait d’un questionnaire.  

La voix de la communauté de pratique se fait aussi au sujet de l’organisation du travail des élèves en binômes. Pendant les activités de réécriture, « Chaymae » organise, comme « Jamila », le travail des apprenants en binômes qu’elle considère comme hétérogène. C’est à l’élève le plus compétent du binôme que l’enseignante décide de confier la responsabilité du feedback[29] et celle de la tâche d’amélioration ou de correction. Nous percevons dans les entretiens l’écho d’une recette pragmatique du milieu enseignant en matière de constitution de binômes :

028. Ch : (…) mais alors maintenant je me dis que j’ai peut être mal fait mon truc dans le sens où peut_être que j’aurais pas dû dire eh voilà vous donnez à celui qui est à côté de vous + tu sais + j’aurais peut_être dû travailler un petit peu plus les niveaux + en disant + comme c’est hétérogène + un super bon avec un très mauvais + pour que le super bon puisse vraiment rattraper le mauvais + parce qu’un moyen pour rattraper un mauvais c’est pas évident non plus + tu sais il est chose qui est très difficile à rattraper c’est pas évident + il verra peut_être pas toutes les_erreurs + ou alors après il y a de l’injustice tu sais qui entre en ligne de compte + mais là je crois que c’était vraiment un travail où il fallait les connaître à

(Entretien du 9 mai 2012, annexe 65)

  1. La négociation rédactionnelle

C’est dans les énoncés référant à l’interaction professeur-élève que nous retrouvons des traces de négociation rédactionnelle. Trente enseignants optent pour le « dialogue individuel » : ils évoquent leurs déplacements auprès des élèves pour interagir individuellement avec eux et pour livrer des indications métalinguistiques orales centrées sur la production :

« les élèves écrivent individuellement. Pendant l’écriture je vais leur parler de leur texte toujours individuellement. Ensuite je fais des montages de photocopies que je distribue à des binômes. Paragraphes, phrases. Ils améliorent et parfois je travaille avec toute la classe une production fautive ». extrait d’un questionnaire.

Décontextualisées, les traces linguistiques fournies ne peuvent rendre compte avec précision des modalités d’étayage de l’enseignant. Elles présentent essentiellement des termes métalinguistiques ou du discours métalinguistique et citent rarement des extraits de textes d’élèves. De ce fait, nous ne trouvons pas dans ce corpus certains outils langagiers utiles dans le processus d’enrôlement : ni répétitions avec modifications interrogatives, ni reprises suivies de modifications des énoncés des élèves. Nous observons très peu de discours autonymiques dans les réponses. En quoi consiste l’activité langagière des participants ?  Un seul commentaire met l’élève, en situation de demande d’aide, à l’initiative de l’échange :

« J’aime beaucoup faire écrire de PETITS textes à la fin de chaque séance. Ce textes sont lus ensuite et commentés par les autres. Ils aiment beaucoup trouver chez les autres des erreurs, le but étant de les amener progressivement à une lecture critique de leurs propres travaux. Pour les textes notés, le premier jet s’écrit en classe, je ramasse les textes, les élèves améliorent et je réponds à leurs demandes » extrait d’un questionnaire.

Les composantes de savoirs proviennent alors de problèmes spécifiques rencontrés par l’apprenant. Dans tous les autres cas, l’interaction semble utiliser le classique format ternaire question-réponse-évaluation où le professeur demande à l’élève de reformuler à l’oral des segments de son texte puis valide ou invalide la réponse[30] :

« Qu’as-tu voulu dire par là ?/ Peux-tu préciser ?/ Pourquoi ?(la question qui revient le plus souvent)/ Est-ce que ton idée est située au bon moment du récit ?/ Comment peut-on faire pour développer cette idée/ ce paragraphe ? » extrait d’un questionnaire.

Le professeur peut endosser d’entrée de jeu un rôle strictement évaluateur soutenu par une grille à usages multiples :

« Élaboration d’un texte narratif en deux séances : élaboration comme d’une grille d’évaluation/ premier jet des élèves : je passe voir les élèves pour leur dire, ce qui va ou non dans leurs productions/ relecture du premier jet avec la grille/ Notation, évaluation avec grille/ correction comme/ correction individuelle de la copie(points bonus distribués si l’élève a tenu compte des remarques données par le professeur)Corriger les fautes de grammaire, orthographes+ idées, histoire » extrait d’un questionnaire.

 ou peut se livrer avec l’auteur à une activité de co-révision :

« Regarde cette phrase, ne manque-t-il pas un mot ?/ Vérifie l’orthographe de ces mots (je les montre du doigt)/ Qu’est ce qu’on a dit d’une phrase ? Comment on fait pour la reconnaitre tout de suite ? (réponse attendue : point, majuscule « eh alors, tu l’as fait ? »/ Regarde comment a fait l’auteur, il a tout écrit en un bloc, regarde la mise en page… Et toi qu’as-tu oublié ?(attente : 2 paragraphes, des alinéas…)/ Il faudra recopier en écrivant lisiblement. Je n’arrive pas à lire » extrait d’un questionnaire.

Ces activités de révision et d’évaluation tiennent compte d’abord, des objets inscrits sur le papier (l’inscription qui sert de support à la lecture) puis, des objets oraux produits dans une phase d’élaboration, de suggestions, de proposition, c'est-à-dire un oral qui porte parfois les marques de l’écrit comme en témoigne l’extrait ci-dessous :

« Quand un élève montre son texte pour la première fois, je lui donne de répondre lui-même à des questions simples : où ? Quand ? Qui ? Quoi ?- Si l’élève ne sait pas répondre à l’un de ces éléments, ou reprend ensemble ce qui manque ou ce qu’il faut modifier/ les phases précises : où se passe ton histoire ? A quelle époque ? Quels sont les personnages ? Que se passe-t-il ?/ - Pour les outils de la langue, reprise des fiches créées en classe » extrait d’un questionnaire.

et des objets oraux en cours d’inscription, à savoir ceux qui sont produits oralement pendant l’inscription comme l’affirme l’extrait suivant : « par quelle expression peux-tu remplacer celle qui ne va pas ?/ Tu peux mettre…et là il faut que tu.. ». Les interventions orales des professeurs focalisent la production de l’élève et, comme nous l’avons déjà précisé, renvoient exceptionnellement à un texte-ressource à lire ou même simplement à observer comme le signale le propos d’une enseignante : « regarde comment a fait l’auteur, il a tout écrit en un bloc ? Regarde sa mise en page… Et toi qu’as-tu oublié ? ». Alors, quelles formes prennent les interventions du professeur ? Entraînent-elles des verbalisations de la part de l’élève ? Le classement formel des 231 citations recueillies donne différents résultats.

En premier lieu, nous remarquons que par rapport aux annotations écrites, les interventions orales questionnent davantage l’élève, livrent plus d’explication et moins d’injonctions. Malgré la pression temporelle et l’effectif, la majorité des enseignants déclare tenter d’instaurer un dialogue avec l’élève autour de sa production. Si 20 professeurs ont déclaré interagir en relation duelle avec un élève, 59 enseignants interagissent individuellement avec les élèves en réponse à la question 39[31]. Nous posons donc l’hypothèse que certains professeurs interagissent une ou plusieurs fois dans l’année pendant les séances d’écriture.

En second lieu, dans le corpus de réponses, 10 mentions de la lecture à haute voix ainsi que 10 demandes de vérification de la conformité de la production au sujet et aux consignes d’écriture. 8 professeurs font allusion à des critères ou à des grilles de relecture. 11 répondants soulignent la nécessité de prendre en considération le lecteur du texte :

« Je leur donne toujours de faire comme si leur lecteur ne savait pas de quoi ils parlent, ignorait complètement le sujet. Autrement, ils ont tendance à laisser sous-entendus des pans entiers d’informations, sous prétexte que je connais le sujet. Je leur dit qu’ils ne sont jamais trop claire ni trop explicites, et que le lecteur ne voit pas la scène dans leur tête, donc qu’ils doivent être le plus clairs possible » extrait d’un questionnaire.

En troisième lieu, aucune intervention orale rapportée ne signale de « bonne réponse ». Les professeurs ne semblent donc pas se livrer à un étayage parallèle comme le montre le témoignage ci-après :

« De manière générale, l’aide la plus efficace est l’aide individuelle. Cette   aide doit être précise et cibler réellement ce qui pose problème. Cette aide ne doit pas se substituer au travail de l’élève et ne doit pas être mal vécue. Commencer par valoriser pour corriger » extrait d’un questionnaire.

Mais si l’ensemble des répondants déclare s’abstenir de corriger à la place de l’élève, six (6) enseignants affirment qu’ils localisent et identifient les problèmes au plan phrastique et inphrastique, pour demander une correction :

« Il y a combien de « … » dans ton histoire ?(pour les fautes d’accord)/ « qu’est ce qui ? »(Pour l’accord sujet-verbe)/ « On ne peut pas respirer quand tu lis ton texte, il manque quelque chose là et là » (Ponctuation)/ « je ne comprends pas de quel personnage tu parles là » extrait d’un questionnaire.

 

 

 

  1. Vers une nouvelle stratégie d’accompagnement

            Le dernier entretien mené avec la professeure montre que celle-ci prévoit de changer ses stratégies et d’accompagner ses élèves en classe dans des situations de travail dyadiques élèves professeur :

138. A. (…) mais je pense qu’avec cette classe là il aurait fallu faire faire en classe sur une heure + que je puisse passer + individuellement à chaque table d’élève pour que je puisse regarder et que je puisse regarder la grille et là tu as coché ça et qu’est ce que ça devient sur ton brouillon tout ça quoi

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

            Il ne s’agit plus alors de laisser les élèves seuls face à la révision de leur texte, mais de les accompagner dans les différentes phases du processus de révision : « Amal » ne remet pas en cause la détection et l’identification des erreurs[32] grâce au tableau des critères. Par ailleurs, l’organisation de la séquence est remise en question par la professeure qui décide de construire une séquence entièrement consacrée à l’écriture, intégrant une ou plusieurs séances liées aux »outils de langue » :

(…) donc à la limite je finis par me dire que par rapport à cette activité là il aurait fallu que ce travail là soit carrément une petite séquence et pas une séance dans_une séquence parce que une séance dans_une séquence ça devient une séance tentaculaire et alors que si c’était une mini séquence à objectifs ah tiens voilà + on va apprendre à mieux_écrire + on va apprendre à améliorer + je pense que tu peux tenir quinze jours avec des_apports de langue + le dispositif il est là + il y a eu plusieurs facteurs + le tout est d’en tirer le positif + oui il faut en faire une séquence autour d’un projet avec un texte attractif + je le referai l’année prochaine + j’aurai encore des sixièmes c’est sûr je le remodifierai.

            (Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

 

            Il est donc prévu que les élèves et l’enseignante interagissent dans le but d’améliorer la production préalablement écrite par les élèves, au sein d’une séquence entièrement consacrée à l’écriture, ce qui annonce un grand changement[33] dans les pratiques d’ « Amal ». Pendant les séances de correction, nous observons que l’enseignante accorde la priorité aux aspects linguistiques du texte. La tâche prescrite à l’enseignante est de corriger des fautes codées des élèves. La correction du texte se fait individuellement par autocorrection après que l’enseignante ait matérialisé les erreurs.

            Il est à noter que l’enseignante fait preuve de beaucoup de créativité que les auteurs du document et elle met en place d’autres formes de correction. Le genre professionnel s’en trouve stylistiquement enrichi. L’enseignante déclare apprécier les textes des élèves au plan linguistique, or, il n’est pas le cas au plan pragmatique, affecti et symbolique comme en témoignent les tours de parole de « Amal 2 » suivants :

049. MP : en production écrite + pour l’ensemble des suites de texte + euh les suites de textes + de contes + qu’est ce qui te semble prioritaire à faire en séance de correction + avec les_élèves ?

050. Amal 2 : euh + en séance de correction + bon d’abord  déjà voir si le la rédaction le travail qu’ils_ont fourni + n’est pas un hors sujet + ça c’est très très important + euh si si l’enfant a montré qu’il peut faire preuve de beaucoup d’imagination + si :: + parce que je leur demande aussi quelquefois d’imaginer une autre histoire + euh + qui aurait pu se dérouler dans leur pays + alors là + pouf euh évidemment + tout_est là (Le professeur désigne sa tête)mais il faut que ce soit quelque chose de fabuleux comme les contes + euh ::: + que ce soit assez logique + euh que ce soit un peu original + ça dépend + et après là seulement je reviens à la correction de la syntaxe de la syntaxe + de l’orthographe et de la grammaire (Entretien avec «  Amal 2 » – 07/6/2012, annexe 76)

 

Dans l’extrait ci-dessous 

039. MP : l’usage de fiches outils c’est quelque chose qu’on t’a montré en formation ?

040. A: non c’est quelque chose qui était pratiqué dans l’établissement où j’étais affecté premièrement + c’était un établissement zone rurale + donc il y avait un vrai travail d’équipe + même si il y avait pas mal de collègues qui ne s’entendaient pas entre eux + la politique de l’établissement + c’était voilà tout le monde travaille en équipe + donc par exemple on commençait l’année + il y avait des vraies progressions + moi quand j’ai commencé mon année de tronc commun+ j’ai pas vraiment eu le choix + je pouvais les traiter comme je voulais mais il y avait telle et telle notion à faire + donc là bas ils faisaient des fiches outils + en fait j’ai dû faire moi aussi des fiches outils + donc je les_ai faites + et j’ai gardé le principe quand je suis arrivé en première année de titulaire dans ce lycée + donc j’ai gardé le principe des fiches outils + puis ça marche bien parce que ça permet à l’élève de se dire qu’en français on a aussi des leçons.

d’autres voix se font entendre dans cet extrait : celles des premiers collègues d’ « Amal ». Il est clair que l’équipe pédagogique[34] a joué un rôle de ressource mais aussi de contrainte lors de sa première socialisation professionnelle. Les fiches-outils comme les progressions sont l’expression du genre professionnel qu’ « Amal » a dû s’approprier. Leur emploi relève clairement d’une obligation professionnelle que le professeur ne conteste pas : «je n’ai pas eu vraiment le choix» ; «j’ai dû faire moi aussi des fiches outils».

            Les usages communs des progressions et des fiches-outils à prescrire ou à construire avec les élèves ont permis aux professeurs de cet établissement de se reconnaitre en tant que pairs, membres d’un collectif local. Les fiches-outils et le tableau des critères assument un rôle médiateur qui relie les pôles enseignant et apprenant. Les élèves ne bénéficient pas de la médiation d’ « Amal » pendant leur travail d’amélioration. De fait, ce sont les parents à qui revient implicitement la tâche d’aider l’élève pendant l’activité d’écriture comme en témoigne l’extrait ci-après :

038. A : systématiquement donc comme ça permet de redonner davantage de valeur au travail de l’élève fait par l’élève mais pour moi même si c’est fait avec les parents

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

L’enseignante insiste par conséquent sur la condition de se faire aider par les parents : les parents ne doivent pas faire le travail mais ils doivent accompagner leurs enfants dans le processus de production comme le signale « Amal » :

038. A : (…) + moi ça ne me dérange pas qu’ils_aident leurs_enfants à partir du moment où ils travaillent avec l’enfant et ne le font pas à la place de l’enfant + de toute façon quand ils font à la place + on s’en rend très vite compte + c’est vrai que j’ai une position particulière + il y a des collègues qui ont horreur de ça

(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)

 

En somme, ce chapitre nous a dévoilé l’importance de la médiation dans les interactions verbales. En effet, les outils médiateurs jouent plusieurs fonctions comme en témoignent les mots clés suivants : médiateur, organisation, motivation. Les quatre professeures ont fait appel à l’outil médiateur pour construire les interactions verbales.  Donc, nous constatons que le problème ne réside pas uniquement dans la compétence syntaxique et lexicale de l’apprenant ni même à la compétence de la planification des énoncés et à la fluidité verbale mais surtout à l’usage d’outils médiateurs permettant de relier les pôles enseignant et apprenants. La mise en scène d’outils scripturaux médiateurs nous a permis de voir la structuration des interactions entre les partenaires de l’échange verbal. Cela nous a permis aussi de vérifier comment les professeures ont créé et maintenu une atmosphère propice à l’apprentissage d’ailleurs l’ensemble des professeures observées en insistent. L’usage professoral d’outils médiateurs dans un cours innovant est significativement différent de celui des élèves qui bénéficient d’un cours classique en production écrite.

En effet, l’apport des outils médiateurs en classe de langue reste très important comme en témoigne la mise en scène du TBI. Sur un autre plan, les enseignants qui savent gérer la contrainte de l’apprentissage individuel des élèves et qui gèrent simultanément l’organisation collective des situations d’enseignement réussissent mieux à construire les interactions verbales en classe de langue.

Conclusion  

Les 232 questionnaires nous informent sur le dire des enseignants et sur leurs pratiques de classe notamment lors des améliorations des productions écrites de leurs apprenants. Ce deuxième chapitre a tissé deux moments : il s’est intéressé à vérifier en quoi ses caractéristiques demeurent des facteurs de réussite des interactions verbales et par conséquent de productions écrites réussies.

D’abord, à la lecture des réponses, nous avons remarqué que les trajectoires socioprofessionnelles sont linéaires et construites uniquement autour de la fonction d’enseignement.

Ensuite, les réponses font l’état de contexte d’enseignement varié, implantés dans des territoires sociologiquement identiques par l’institution. Puis, sur le plan de ressources professionnelles, les professeurs utilisent, plusieurs types de moyens d’enseignement en l’occurrence le manuel[35] et les œuvres intégrales, or, le mode de travail reste individuel chez nombreux enseignants à cause d’une tradition professionnelle disciplinaire. La pratique d’écriture est cependant rarement utilisée en dehors des séances programmées par le ministère. Les rares réponses qui réfèrent à l’activité d’amélioration des textes écrits semblent consacrées en dehors de la classe vu le manque de temps.

Au final, certaines réponses évoquent un écrit intermédiaire construit à partir des premiers jets. Cet écrit constitue pour ces interrogés un réservoir de mots de la classe. Les annotations, en outre, jouent un rôle médiateur tout comme les outils médiateurs. Certes, pour la majorité des enquêtés, les annotations sont des instruments de focalisation qui amènent l’élève à s’interroger  sur sa production et à la modifier. Nous avons remarqué notamment que les modes d’organisations du travail varient comme varient les supports.

Le langage écrit est donc une modalité fréquemment mise en action sur les copies d’élèves pour les aider à améliorer leurs productions. Cette modalité a pour but de cadrer l’activité d’annotation de l’élève et a aussi un effet de structuration sur l’interaction verbale voire sur les échanges entre pairs et entre les élèves et le professeur. Deux autres activités langagières dominent dans les discours des enseignants, quel que soit le mode d’organisation pédagogique adopté :

  • L’interaction orale autour de la production écrite de l’élève et autour des annotations,
  • La lecture à haute voix où le discours écrit est parlé.

Les enseignants déclarent déclencher des phases de verbalisations autour de la lecture à voix haute des productions et autour des annotations de corrections pour permettre à l’enseignant d’exercer la fonction de maintien et de guidage de l’attention des élèves. Deux ensembles d’écrits sont mis en scène.

En premier lieu, pendant les activités d’écriture, toutes les enseignantes incitaient les élèves à mobiliser les ressources discursives et linguistiques de leurs environnements (dictionnaire, manuels et cahiers) pour traiter le sujet proposé. Ce dernier est reformulé oralement. En second lieu, pour ne pas perdre de temps et pour enrôler les apprenants, les enseignantes développent des moyens et construisent des outils afin de favoriser l’autonomie des élèves. Trois outils scripturaux structurent leurs tâches. Il s’agit d’écrits intermédiaires (grilles d’évaluation ou tableau de critères), de fiches-outils et de listes de phrases erronées à corriger. Ces outils n’ont pas été créés pour les besoins de la recherche : ils ont déjà été mis en œuvre lors des séquences antérieures et ils sont issus du répertoire disciplinaire des enseignants.

L’auto-confrontation implique une posture par laquelle les enseignantes ont l’initiative de commenter et de fournir les matériaux permettant d’identifier et de comprendre les processus qui organisent ce travail. Leurs interventions cherchent à expliquer l’implicite. Il s’agit d’une occasion de prescrire des solutions et d’ouvrir sur d’autres perspectives d’enrichissement de l’environnement professionnel. Tout au long de cette étude, un climat de confiance s’est installé avec les responsables des établissements, les enseignantes et leurs élèves. Les enseignantes ont affirmé par ailleurs que cette confiance avait un effet positif sur les élèves et elle s’est construite progressivement à travers le cadre dialogique des auto-confrontations. Certains élèves se sont montrés plus « bavards » après les entretiens et ont développé davantage leurs réponses et leur point de vue.

L’intention des enseignantes après le premier entretien a été d’accentuer l’implication des élèves dans l’analyse des activités en classe en les invitant à dialoguer lors des activités. Loin d’être spontanée, cette mise en lien des deux activités devient une ressource au service du développement des actions et des motifs des apprenants.

Les enseignantes sont devenues conscientes des informations apportées par l’élève. Ces informations pourront être partagées pour devenir une ressource commune pour le développement de l’activité en classe. Au-delà d’un face à face enseignant-élève et d’une confrontation adulte-adulte qui constituent souvent des obstacles spécifiques aux enquêtes menées auprès d’enseignants, il s’agit plutôt d’organiser les conditions d’un échange au cours duquel les enseignants et les chercheurs pourront dialoguer en parlant de ce qu’il est difficile à faire en classe ou encore de ce qu’il n’est pas ou plus possible de faire.

Les entretiens d’auto-confrontation avec les enseignantes, en situation de décrochage, ont permis de recueillir un double point de vue sur les pratiques effectives en classe. Selon une méthode clinique de l’activité fondée sur le principe du « transformer pour comprendre » (CLOT, 2008), les enseignantes ont déplacé l’activité scolaire dans un nouveau contexte, celui de la recherche, pour favoriser le développement d’une activité contrariée. Nous pensons que ce déplacement de l’activité scolaire vers un cadre de recherche, notamment la confrontation aux traces audiovisuelles, crée des situations inhabituelles propices à une activité de reconstruction du sens.

Ainsi, le recours aux entretiens d’auto-confrontation et au questionnaire et à l’analyse des séances observées nous ont dévoilés que le travail de la recherche autour des conduites professorales en classe de langue devrait partir de l’organisation didactique, de la gestion des plans collectifs et individuels, et de la médiation.

Le fait didactique relève de l’organisation des contenus, première fonction de l’enseignant. Ce fait didactique concerne l’organisation de la relation sociale à ses connaissances comme en témoigne TOCHON : « la gestion du groupe-classe » qui est la seconde fonction de l’agenda de l’enseignant [36]». Les références jouent également ce rôle lors de la planification de l’enseignement au moment où l’enseignant doit déterminer l’organisation de la matière et délimiter l’étendue des concepts à enseigner inscrits au plan-cadre d’un cours.

Les questions à se poser sont : d’où partir et jusqu’où aller dans l’enseignement de cette approche ou notion, dans quel ordre ou quelle séquence les contenus listés doivent-ils être présentés aux élèves? C’est le deuxième moment de négociation, qui se passe habituellement dans la tête de l’enseignant ou avec un collègue.

 

 

[1]. Question 9 « Quelles ressources utilisez-vous pour construire vos cours ? (Choisissez 6 items, à classer du plus important au moins important).

[2]. Le manuel le plus cité est Les œuvres intégrales du cycle qualifiant.

[3]. Anne BARRERE, Les enfants au travail, p.83

[4]. C’est ce qu’ont montré d’autres chercheurs, Jean-François Marcel, Vincent DUPRIEZ, Danièle PÉRISSET BAGNOUD, Maurice TARDIF,  Coordonner, collaborer, coopérer. De nouvelles pratiques enseignantes.

[5]. Voir le Cadre de Référence de l’Enseignement du français du cycle qualifiant, http:// www.men.gov.ma /default.aspx, site consulté le 12/ 6 /2012.

[6]. Q 13 : «Si vous proposez d’autres activités d’écriture de textes narratifs, pouvez-vous les nommer ci-dessous ? »

[7]. Elle met « un cahier d’écrivain » avec ses textes personnels (BACHY, THOREL, VASSORT, 2007, p.75

[8]. Rappelons que Claudine FABRE-COLS, s’inspire du courant linguistique de la critique le lieu d’opération linguistique rouillons sont génétique, montre que les indistinctes : ajout, suppression, remplacement et déplacement(2002)

[9]. ROGER BOUCHARD, « Sources et ressources du discours académique : Éléments préconstruits et processus de préconstruction en L2 » in BOUCHARD R. et MONDADA L., Les processus de la rédaction collaborative. p.95

[10]. Claudette ORIOL-BOYER, L'écriture du texte : théorie, pratique, didactique, Université Paris 8, thèse 1989

[11]. « On utilise généralement à l’école

  • des écrits « normés » ou « normalisés » (un résumé, une narration, une description, par exemple) ;
  • des « écrits intermédiaires » ou « écrits réflexifs » pour reprendre la terminologie développée par Dominique BUCHETON et Jean-Charles CHABANNE : supports plus ou moins durables (du brouillon détruit immédiatement au cahier d’essai, d’expériences, etc.).

Ces écrits sont dits écrits « réflexifs » car ils sont le reflet d’étapes essentielles, les lieux mêmes où s’élabore le travail cognitif, où émerge la pensée, entre manipulation et invention.

Ce sont des écrits pour apprendre et pour penser qui peuvent accompagner toutes sortes de tâches : rappel d’informations, reformulation d’une notion, préparation d’un projet, d’un écrit, résolution de problème ».

[12]. Jean Charles CHABANNE et Dominique BUCHETON, (Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, p. 20

[13]. Jean François HALTE, Études de linguistique appliquée, Numéros 81 à 84, p. 25, cité par, Isabelle DELCAMBRE, L'exemplification dans les dissertations: étude didactique des difficultés des élèves, p. 25.

 

[14]. Nous avons eu le droit de prendre la photo après l’accord de l’ensemble de la classe.

[15].  Jean François HALTÉ, Intégrer l'oral : pour une didactique de l'activité langagière, l'oral dans la classe, 2005.

[16]. Le Cadre de référence de l’examen normalisé régional pour l’obtention du baccalauréat français, 2009

[17]. D’après Jean-Pierre JAFFRE, « la maîtrise de la base phonographique d’une orthographe est un passage obligé de la littéraire » (JAFFRE, 2004, p.33)

[18]. Quoique « Amal 2 » se soit avérée plus présente pendant les interactions. Avec une certaine expérience, elle serait plus apte à utiliser ce nouvel outil.

[19]. Voir note 2 relative à l’axe didactique du sujet et du social p. 48

[20]. Marcel LEBRUN, Des technologies pour enseigner et apprendre, p.79

[21]. Patrick CHARAUDEAU et Dominique MAINGUENEAU, Dictionnaire d’analyse du discours, p.142

[22]. Se référer notamment au modèle triadique des situations d’activités instrumentées (SAI) de RABARDEL développé dès 1995 et qui permet de mieux cerner les enjeux de l’usage des technologies dans l’enseignement.

[23]. Dans les interactions de tutelle, l’accent est mis sur l’aide à la production des réponses ou sur l’aide à l’appropriation de procédures de traitement ou de contrôle de l’activité cognitive (WEIL-BARAIS, 1998, p. 5)

[24].Question 38 : « Gestion de l’hétérogénéité : pouvez-vous donner des exemples de variations dans les taches demandées aux élèves POUR AMELIORER LEUR PREMIER JET : du point de vue des contenus, des consignes, du guidage, des annotations et éventuellement des supports ».

[25]. L’idée de pédagogie différenciée est présente chez Célestin Freinet lorsqu’il met en place les plans de travail individuel, les fichiers autocorrectifs, les bandes enseignantes et les brevets (système d’évaluation par compétences), en s’inspirant de trois expériences : la première est l’œuvre d’Hélène PARKHURST (PARKHURST, 1905), la deuxième est l’œuvre de Carle WASHBURNE (WASHBURNE, 1931) et la troisième œuvre est de Robert DOTTRENS(DOTTRENS,1927), site consulté le 12/12/2013, http://www.meirieu.com/ECHANGES/bruno_robbes_pedagogie_differenciee.pdf. p. 2.

[26]. « Pour vous, quelles sont les expressions ORALES les plus efficaces pour aider les élèves à améliorer leur PREMIER JET de texte narratif ? Quelles phrases précises utilisez-vous à l’oral pour aider les élèves à améliorer leur production ? ».

[27]. RULLAN, 2005 :65

[28]. La règle préconisait en général une durée d’une heure par séance.

[29]. La notion de feedback est entrée dans le langage scientifique grâce à l’avènement de la pensée cybernétique dans les années quarante du XXe siècle. C’est à Norman Wiener, père fondateur de cette nouvelle approche scientifique, et ses collaborateurs que l’on doit une formulation savante des principes de feedback, quoique son concept était connu dans différents domaines scientifiques bien avant la naissance de la pensée cybernétique (voir entre autres DURAND [1979] 2010 ; VALLÉE 2007). D’une manière générale, les premiers cybernéticiens conçoivent le feedback comme un processus ayant pour essence un échange constant des informations réciproques (ou des actions en retour) entre différents éléments d’un système donné et cela afin de contrôler et, éventuellement, réguler le fonctionnement de ce dernier (cf. COUFFIGNAL 1963). En effet, dans une optique cybernétique, « tout système possède une entrée des informations (input) ainsi qu’une sortie (output) qui rend continuellement compte de l’impact de ces données sur le fonctionnement de l’ensemble » (GODEFROID 2008 : 21). On dit alors que les éléments d’un système sont reliés par une causalité circulaire et on appelle le processus de feedback une boucle rétroactive ou une boucle de rétroaction.

 

[30]. Il est parfois impossible d’identifier les modalités sémiotiques auxquelles réfèrent les informateurs dans leurs réponses. L’énoncé suivant est difficilement interprétable : « Toujours encourager et mettre en valeur une réponse correcte (Licence ès lettre, 28 ans d’ancienneté).

[31]. Pour vous, quelles sont les expressions ORALES les plus efficaces pour aider les élèves à améliorer leur PREMIER JET de texte narratif ? Quelles phrases précises utilisez-vous à l’oral pour aider les élèves à améliorer leur production ?

 

[32]. Depuis quelques années, le statut de l’erreur à l’école a considérablement évolué, tout comme la représentation de l’acte d’apprendre. Si auparavant l’erreur était assimilée à une faute, à un dysfonctionnement et si elle était écartée du processus d’enseignement de peur que le faux ne s’apprenne comme le vrai (on ne doit jamais faire de faute au tableau et on ne doit jamais montrer les erreurs qui ont été commises). Aujourd’hui, l’erreur est considérée comme une étape normale de l’apprentissage. Le statut de l’erreur apparaît en fait comme un bon révélateur du modèle d’apprentissage en vigueur dans la classe. Le modèle transmissif a une représentation de l’acte d’apprendre qui rejette l’erreur. Elle est perçue comme la conséquence d’un manque de motivation et d’intérêt de la part d’un enfant, et comme la conséquence de son niveau d’intelligence. Le modèle du conditionnement (béhavioriste) repose sur les hypothèses à ce que le savoir est décomposable en sous-savoirs et on apprend par empilement des connaissances (leçon 1, leçon 2… l’erreur est regrettable et elle a un statut négatif. Pour le constructivisme, l’enseignant se doit décortiquer l’erreur pour améliorer les apprentissages. L’erreur n’est plus définie comme un manque mais comme le fruit d’une production. Ce modèle attribue à l’erreur un statut positif.

[33]. Pour Charlier, « nous parlons de changement de pratique d’enseignement pour évoquer les changements mis en œuvre par un enseignant au miment de la planification de l’enseignement, de la place interactive ou de la phase post-interactive. Il peut concerner ses schémas d’action, ses décisions de planification ou ses connaissances de même que les actions mises en œuvre, les interactions avec les pairs et la réflexion exercée sur l’action. L’ensemble de ces éléments constitue ce que nous appelons sa pratique d’enseignement »’1998, p.78)

[34]. « La volonté d’inscrire la collaboration dans la culture professionnelle des enseignants, c’est celle d’aller, au‐delà des activités formelles et contraintes, vers une collaboration spontanée, informelle et qui demande un engagement soutenu des collaborateurs. Une véritable collaboration a, en effet, des exigences supérieures à la simple collégialité (SAVOIE‐ZJAC et DIONNE, 2001). L’échange véritable et la circulation des savoirs au sein d’une équipe pédagogique requièrent de chacun de ses membres la déconstruction et la reconstruction de ses savoirs ; cet échange devrait ainsi mener à la coproduction de nouveaux savoirs. Une recherche sur le soutien aux élèves à risque (PORTELANCE et LESSARD, 2002; LESSARD et PORTELANCE, 2005) révèle que la collaboration au sein de l’équipe école est perçue par tous les enseignants et les autres intervenants scolaires comme une première nécessité, à cause de ses effets positifs sur le cheminement des élèves. La collaboration permet en effet d’harmoniser et d’accroître la portée des interventions éducatives. D’autres impacts de la collaboration sont aussi signalés. Sur le plan du développement professionnel, un sentiment de formation mutuelle se développe chez les « collaborateurs », lorsque les savoirs des uns et des autres se recouvrent. Relativement à la professionnalité, l’interdépendance positive et la reconnaissance des complémentarités, suscitées par la collaboration, favorisent et préservent l’autonomie professionnelle. Toutefois, la collaboration et le partage des savoirs sont des réalités fragiles, incertaines et conditionnelles qui, pour s’inscrire peu à peu dans la culture professionnelle et interprofessionnelle, exigent du temps et des efforts concertés. » LILANE PORTELANCE et NICOLAS DURANT,  « La collaboration au sein d’une équipe pédagogique, une compétence à développer au cours des stages » in Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies, p. 78

 

[35]. Le manuel est relatif aux œuvres intégrales et

[36]. François TOCHON, « l’organisation du temps en didactique du français » in Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, n° 2, p. 24.

Abdessamad TBIB

Maroc

Enseignant(e)

Disciplines :
  • Linguistique & littérature
  • Didactique

Commentaires liés à cette ressource

Bahia NADEIF2696j

Je trouve que c'est intéressant. Et si on pensait à une suite fonctionnelle? Formation, colloque, séminaire......

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